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Zone d'expérimentation
1 mars 2010

Deux ou trois choses que je sais d'elle, par d'autres

Spider_web_by_jcphotos


Identité. Une somme d'informations distinguant un individu de l'autre. Informations intrinsèques, génétique, autant qu'exogènes, perception de l'autre. Nous sommes par ce que forge notre patrimoine et par ce que notre environnement renvoie de nous. Informations contrôlées, apparence, autant qu'entropiques, analyse de l'autre. Nous sommes par ce que nous consentons à livrer à l'autre et par ce que l'autre déduit de ce que nous affichons.
C'est déjà compliqué dans le quotidien. Internet à complexifié le processus.


Elle à le verbe aigu, la rhétorique tranchante
Elle à le goût du mot, la passion du discours
Et sur la Toile Vorace, instrument du langage
Son propos intimide, éblouit ou malmène.


Deux ou trois choses
Que je sais d'elle
La rendent moins immatérielle.




Profil. Un contenu livré en pâture aux arpenteurs du Réseau. De la matière dédiée, à l'attention des pairs, des amis, des familles, futile et volatile, l'obsession de l'instant, des rien qui le composent, ou profonde et pérenne, angoisse de permanence, de son meilleur portrait.
Nous sélectionnons, avec plus ou moins de bonheur, les traits que nous pensons nous définir, statut sentimental et pensée du moment, métier, occupation et résultats de quizz, créations de tous ordres et critique du néant. Des entrelacs brouillons, chargés de signifiant, affichés sans vergogne sur des propriétés tout aussi virtuelles qu'elles sont électroniques.
Nous sentons-nous plus vrais, ainsi représentés ?


Elle aime les autres mondes, les univers d'étoiles
Elle aime l'image mouvante, animée ou filmée
Et sur la Toile Vorace, nourrie d'orientalisme
Sa culture de l'Asie lui donne autorité.


Deux ou trois choses
Que je sais d'elle
La rendent moins immatérielle.




Masque. Un visage choisi, parfois avec soin, sous lequel dissimuler ou affirmer. Tromper, camouflage de prédateur en chasse, mimétisme de proie offerte, séduire, toujours, pour conquérir ou être conquis. Aimer, être aimé, voire s'aimer en se choisissant autre. Ou mieux.
Réincarner ses rêves, ses aspirations, ses fantasmes, dans les circuits, magnifier ses atours, sublimer ses points forts en gommant ses points faibles. Nous sommes des adolescents plus ou moins proches de l'acceptation, tous encore désireux de paraître moins boutonneux, ou moins complexés, ou plus intelligents. D'être, simplement.
Avatars, pseudonymes, photo de profil, ne sont que les fragiles façades par lesquelles appâtons l'autre.


Elle est blessée au cœur, un homme, une fin d'amour
Elle a l'âme en lambeaux, une femme bien trop aimée
Et sur la Toile Vorace, vecteur des séductions
Elle provoque par saphisme, défend par féminisme.


Deux ou trois choses
Que je sais d'elle
La rendent moins immatérielle.




Échange. La connexion des machines prélude au rapprochement des vivants. Recréés avec des efforts variables sous une apparence artificielle, nous nous croisons, nous interpellons, communiquons. De la pensée transite, par articles et commentaires, de l'esprit voyage, par réponses et messages privés. La vacuité côtoie la pertinence, le savoir fréquente la bêtise, et cette compilation bâtit une nouvelle encyclopédie, en permanente gestation, une photographie des cultures, des tendances, des errements et des connaissances.
Nous ne sommes ni plus sots, ni plus intelligents. Simplement, en gravant dans la silice nos dialogues et nos traités, nous offrons à tous de s'incruster dans la conversation, d'apporter sa contribution, quelle fût-elle, à la masse.
Et l'illusion de mettre à portée de tous le monde et sa conception.


Elle est fille de l'armée, d'un chirurgien de guerre
Elle est fille du devoir, discipline et rigueur
Et sur la Toile Vorace où grouille l'incurie
Elle se veut jardinière traquant la mauvaise herbe.


Deux ou trois choses
Que je sais d'elle
La rendent moins immatérielle.




Solitude. Corolaire insidieux à l'accès permanent au vaste monde. Plus nous avons le sentiment de rencontrer et d'élargir le cercle de nos relations, et plus nous nous rivons à notre siège, isolés devant l'écran scintillant, des prisonniers hypnotisés par la lucarne donnant sur un univers aux frontières extensibles, alors que la porte du cachot reste grande ouverte. Rien ne nous oblige, sinon la dépendance à la facilité. Rien ne nous retient, sinon la possibilité de créer dans la virtualité une vie que nous peinons à assumer dans la réalité.
Les degrés varient au gré de notre sociabilité, depuis l'extension biologique du terminal, tout juste capable de se mouvoir jusqu'à sa couche, jusqu'au visiteur sporadique s'immergeant pour mieux intensifier son réel. Bien sûr, l'assuétude est fonction du mal qu'elle prétend soulager. Et dans une société à la dépersonnalisation croissante, les symptômes ne peuvent que s'aggraver.
Reste à savoir quand l'accès au monde se définira par l'accès au système neuro-informatif.


Elle prête aux chats un charme, indépendance câline
Elle prête aux notes une grâce, réflexe de pianiste
Et sur la Toile Vorace aux multiples esthétismes
Se découvre gothique, romantique, réaliste.


Deux ou trois choses
Que je sais d'elle
La rendent moins immatérielle.




Technologie. Le moyen de tous les maux et de tous les conforts. Le feu aura assuré la survie de l'Homme, confort de l'habitat, amélioration de la nutrition. Le langage aura assuré la cohésion, accroissement de la communication autour du feu, partage des idées, naissance des concepts. L'outil aura accru la sécurité, développé les possibilités d'action et affiné la transmission de la mémoire. Synthèse et résultante. Avant de devenir finalité et remplacement. A la satisfaction du besoin s'est substituée la création du besoin, s'assujettir chaque jour un peu plus à la machine au motif fallacieux de mieux vivre.
Il n'est pas seulement question du profit de quelques sangsues cyniques. Nous nous employons à peaufiner les mécanismes d'assistance auxquels se brancher, dans un état végétatif à peine illuminé de songes creux et de fuite hors du réel. Plutôt un univers d'imagerie à la carte, sous perfusion, que la confrontation à un environnement de plus en plus hostile à mesure que nous le sacrifiions à la machine. Fuir le réel que nous détruisons pour construire le virtuel. Une spirale dont le faux-plat n'a rien d'ascendant.
Sommes-nous seulement disposés à inverser le processus, maintenant connu, à abandonner nos innovations confortantes pour préserver l'espèce quelques générations supplémentaires ?


Elle est dite élitiste, elle est sans concession
Elle est décrite hautaine, il faut l'approvoiser
Et sur la Toile Vorace, zone de confrontation
On l'admire, la conspue, l'apprécie ou l'ignore.


Deux ou trois choses
Que je sais d'elle
La rendent moins immatérielle.




Fin. Terme d'une chose, d'un état ou d'un être. Les empires s'écroulent ou vacillent, les modes passent puis reviennent, les mécanismes s'enrayent et se bloquent.
Nous sommes accoutumés à cette fuite en avant de la progression, elle régit la technologie depuis un siècle, chaque nouvelle découverte se faisant le terreau des suivantes, à un rythme exponentiel. Dans le même temps, l'espérance de vie s'accroît, les processus de sauvegarde de l'humain se multiplient, en une quête trompeuse de la jeunesse éternelle.
Malgré tout, les régimes s'effondrent encore, les états se défont toujours, les systèmes persistent à flancher. Le commerce de la fragilité relève autant d'une tactique consumériste que d'une tentative de faire oublier la temporalité limitée des choses, en la rendant omniprésente, banale. La recherche incessante de l'alternative, remplacer avant la chute, prévenir la terminaison plutôt que l'accepter.
L'économie du XXe siècle s'est construite sur le pétrole, en tant que carburant de la fée électricité, et en tant que moyen de domestiquer la distance. Le World Wide Web en est l'aboutissement : écraser la distance par l'électricité.
Que restera-t-il du grand Réseau lorsque le pétrole viendra à manquer et que les alternatives, pensées à reculons, suffiront tout juste à minorer la perte d'un niveau de vie industriel ? Que restera-t-il des identités confiées à la Toile ? Que restera-t-il des profils élaborés à la chaîne ? Que restera-t-il des masques posés sur les électrons ? Que restera-t-il de l'échange condamné à un vecteur déficient ?
Que reste-t-il des vivants une fois leur terme atteint ? Combien de temps avant que la disparition de leur souvenir soit un second décès, sans honneur ni commémoration ?


Elle a le coeur fragile, un défaut de fabrique
Elle s'est faite expulser, son propos dérangeait
Et sur la Toile Vorace, un jour on m'a appris
Qu'elle était décédée, transplantation manquée.


Deux ou trois choses
Que je sais d'elle
Rendent la peine plus personnelle.






A la mémoire d'Atsilouth
Un masque trop peu croisé sur la Toile
Une amie trop peu connue dans la vie
Une femme trop vite retirée à ses proches

Cette page me manquera

Illustration : Spider web, par jcphotos, sur DeviantArt

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Commentaires
C
Ainsi je repasse. Je relis. Je souris.<br /> C'est toujours beau à relire. J'ai repensé à elle.<br /> J'ai repensé à ce texte.<br /> Comme quoi.<br /> <br /> Le bonjour à toi et à 3skel.
3
Je ne crois pas que ce soit immatérielle qui pose problème, plutôt le début de phrase "me la rendent".<br /> <br /> Ce texte, tu sais déjà ce que j'en pense, la petite chair de poule à la lecture aura suffit.<br /> Joli hommage pour une belle âme masquée.
D
Je vois ce que tu veux dire, Erick. J'ai pourtant beau y songer, je ne parviens à me détacher de l'effort de rime en conjuguant avec un terme plus doux. Virtuelle est trop classique et je sèche quant à un synonyme ...
E
c'est intelligent, c'est riche, c'est beau et bien bâti. J'y vois plus de pudeur que d'exacerbation des sentiments, ce qui est plus à mon goût par ailleurs.<br /> Pour d'autres raisons, le texte me touche personnellement.<br /> Un bémol, néanmoins: je ne peux m'empêcher de tiquer sur "me la rendent moins immatérielle", que je trouve trop dur à l'oreille et d'une tournure pas très heureuse.
D
C'est drôle, Djimi, ce texte me paraissait manquer de la sensibilité que je souhaitais pour un hommage, et je me rends compte, à la lecture de ton commentaire, puis des suivants, qu'une nouvelle fois je passe à côté de la compréhension quant il est question de mon travail ...<br /> <br /> Jonas, le peu que nous nous sommes croisés aura suffit à te conférer une aura d'intérêt, quelque peu intrigué, et les retour de ma dame de courbes à ton sujet y contribuent encore. La délicatesse de ton commentaire confirme le bien fondé de mon appréciation.<br /> Quant aux dieux, leurs principes m'interpellent sans suffire à me porter, certains écrivains font plus en la matière. Peut-être en cela puis-je comprendre ton ressenti.<br /> Grand, enfin, je ne sais pas, sinon que le poids de mon ego courbe par trop mes épaules pour conserver un port digne de ce nom.<br /> (Elle méritait tellement ...)<br /> (Heureux de te lire - un peu - ici)<br /> <br /> alixte, oui, ces quatrains assouplissent certainement la lecture, une mousse légère dans le sillage des alexandrins. Sans doute que le pompeux verbiage des considérations sur le monde aurait été par trop indigeste sans cela ...<br /> (Ravi de voir que tu as trouvé le chemin des commentaires)
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