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Zone d'expérimentation
10 mai 2010

L'expérience "M", par Gwen

m_by_seafoodmwg


Je m’appelle Jean-Christophe Creugnot, j’ai 46 ans. Je mesure 1m71 et je pèse 80 kilos. Je suis un peu enrobé. Je ne perds plus mes cheveux depuis que j’ai le haut du crâne dégarnie. Ceux qui restent, je les maintiens courts. Je suis marié depuis 17 ans avec Brigitte et j’ai deux enfants : Thérèse (comme ma grand-mère) 16 ans et Lucas (comme le grand-père de mon épouse) 13 ans. Je m’occupe de la comptabilité et du recouvrement dans une agence immobilière depuis presque 20 ans.
Je commence aujourd’hui une expérience visant à renforcer mon estime de moi, à tester la solidité de mon contrat matrimonial et à mesurer mon charisme s’il en est.

La cible de cette expérience est une jeune fille de 25 ans que j’appellerai « M » pour garantir son anonymat. Elle travaille depuis quelques semaines à « Immocal » comme standardiste. M est brune, élancée, les yeux noisettes. Elle porte ses longs cheveux bouclés détachés. M est souvent vêtue de tenues printanières qui offrent au regard ses bras, sa gorge, son cou, ses épaules, son dos, ses cuisses, ses genoux, le galbe de son mollet et ses chevilles. M ne porte jamais de soutien-gorge. M n’a pas de poitrine, pas même des mandarines mais n’ayant jamais été attiré par les gros seins, ça ne me dérange pas. M porte peu de bijoux et se maquille rarement, mais elle n’a pas besoin de ces artifices, M a un sourire qui fait briller ses yeux et elle sourit souvent. M n’est pas d’une beauté renversante mais sa jeunesse lui confère beaucoup de charme.

Je consignerai dans ce cahier les différentes étapes de mon expérience. Mon cahier sera le témoin de l’avancement de mes travaux de recherche.



1er jour :
Machine à café. J’attends qu’elle prenne sa pause pour aller me servir un café, comme par hasard. J’échange quelques mots. Je lui demande si elle se sent bien dans son nouveau travail, je lui offre mes services si elle a des questions ou un problème.

8ème jour :
Machine à café. Comme les jours précédents, je prends ma pause en même temps qu’elle. J’arrive à la faire sourire en sortant une ou deux répliques assez drôles. Elle a même rit à une de mes blagues. Pour l’instant, mon approche est facile.

16ème jour :
Maintenant, nous nous retrouvons chaque jour devant la machine à café. La pause est devenue un rendez-vous tacite entre nous. Nos échanges sont chaque fois plus longs. Ils se font aussi plus intimes. J’apprends qu’elle vit avec deux chatons qu’elle nourrit toutes les quatre heures au biberon. C’est pour cette raison qu’elle ne prend pas sa pause déjeuner au bureau, elle court chez elle et ne prend même pas le temps de manger.

23ème jour :
Délibérément, je ne me précipite pas à la machine à café quand M prend sa pause. Je fais semblant d’être par un dossier urgent. M vient me chercher : « Jycé ? Tu veux que je te prépare un café ? Tu n’as pas le temps de le prendre avec moi ? » M ne m’appelle plus monsieur, ni Jean-Christophe mais Jycé. L’utilisation de ce mignon diminutif nous rapproche et semble effacer notre différence d’âge.

31ème jour :
Depuis quelques jours, nous échangeons des mails à longueur de journée. Elle m’envoie de la poésie et ses états d’âme. J’apprends qu’elle vient de se séparer de son compagnon avec qui elle partageait sa vie depuis deux ans. Elle n’a pas l’air si affecté que ça. Je lui renvoie des courriers de plus en plus impertinents avec des allusions sexuelles à peine voilées.

37ème jour :
Dans un mail, elle avoue être troublée par mes écrits. Je souris. Mais moi aussi, je suis un peu troublée par mes écrits. Je pourrai dire que j’ai validé une première partie de mon expérience. On peut avoir 46 ans et continuer à avoir du charisme voire du sex-appeal, en tout cas dans une relation épistolaire. Je décide de continuer l’expérience.

48ème jour :
Une nouvelle étape a été franchie, aujourd’hui, une nouvelle victoire. M a donné son accord pour me voir hors contexte du travail. Elle accepte de boire un verre avec moi au Bar Ouf. J’ai utilisé mon anniversaire comme prétexte à cette rencontre. Notre rendez-vous est fixé au vendredi soir après le boulot.

Vendredi :
Je passe la journée fébrile. Je suis incapable de me concentrer sur mon travail. A la pause café, je balbutie quelques mots et je l’écourte volontairement. Mon rythme cardiaque me fait craindre une crise de tachycardie. Je préviens ma femme qu’un dossier impayé me retiendra sans doute un peu tard au bureau.
La rencontre hors contexte boulot avec M est un délice, du bonheur à l’état pur. Nous échangeons tendrement. Elle m’offre un recueil de poésie de sa composition. Elle l’a mis en page elle-même avec de nombreux découpages, incrustations de fleurs et traces de rouge à lèvres. Je suis ému. Nous ne nous quittons pas trop tard avec l’échange d’un long baiser langoureux sur le pas de sa porte.

Week-end :
Mon week-end est affreux. Je passe mes journées et mes nuits à me remémorer ce baiser. Je ne peux rien dire à ma femme sur mon tourment. Mon état l’intrigue, elle me questionne.

59ème jour :
Nos échanges au travail sont très complices. Nous nous écrivons à longueur de journée des mails enflammés. Je ne prends même plus la peine d’ouvrir mes dossiers en cours, je n’ai plus le temps. Je rédige des lettres comme jamais auparavant. J’apprends le contenu de chacun de ses mails par cœur. Je passe mes nuits à me redire doucement ses textes. Je ne dors plus. Pour combler mes insomnies, je bois café sur café ce qui réveille mon ulcère et mes aigreurs d’estomac. Mon expérience prend une tournure toute autre que ce que je souhaitais au départ. Après le travail, notre séparation est un enfer pour moi.

68ème jour :
J’ai un peu insisté mais elle a finit par accepter. M accepte que nous nous retrouvions un soir, chez elle, après le travail. Mon expérience pourrait être considérée comme terminée mais je ne peux pas l’arrêter maintenant.

69ème jour :
Nuit d’insomnie. En plus de mon litre de café matinal, j’ai pris un Guronsan pour tenir au boulot.

70ème jour :
Je ne fais que penser à cette soirée chez M. je n’en peux plus d’attendre.

73ème jour :
C’est demain.

74ème jour :
Notre relation sexuelle n’est pas réellement satisfaisante. C’est de mon fait. Trop pressé, trop empressé, je n’ai pas pris le temps de l’écouter, ni de m’écouter. Nous restons allongés l’un près de l’autre, insatisfaits. Ce moment est plein de tendresse. Elle essaie de me consoler en me disant qu’elle trouve ma maladresse charmante. Elle m’assure que ce n’est pas si grave, qu’elle est heureuse, qu’elle a l’impression de se revoir lors de sa première relation, à 16 ans.

75ème jour :
M m’annonce par mail qu’elle regrette, qu’elle a fait une erreur. Elle ne veut pas être une briseuse de ménage. Elle pense à ma femme et à ma famille. Elle est désolée pour eux. Elle pense aux femmes trop souvent blessées par des maris infidèles. Je la supplie silencieusement de ne pas me larguer. Je lui écris aussi, longuement, plusieurs fois. Je lui raconte que mon mariage est embourbé par le poids des années. Elle reste silencieuse.

76ème jour :
Aucun mail de M

84ème jour :
Mes nuits blanchies par le désespoir me font voir ma vie autrement. Je ne parle plus à ma femme, j’ai trop peur de me trahir. Je ressasse sans arrêt les poésies de M. Son recueil ne me quitte plus.

89ème jour
M ne m’écris toujours pas. Elle me fuit pendant la pause café. Je n’arrive plus à travailler, obsédé par son absence, plus encore que par sa présence. En rentrant chez moi, j’explique tout à ma femme. Je suis amoureux, il est encore temps pour moi de commencer une nouvelle vie. Je pars avec une valise et je claque la porte. Je dors à l’hôtel.

90ème jour :
J’explique par mail ma séparation. Je suis un homme libre, enfin. Je suis à elle, tout à M. Je suis son esclave. Mon mail reste sans réponse.

96ème jour :
Je reçois un court mail de M : « Jean-Christophe, nous serons toujours amis mais je ne peux pas vivre avec toi ». Je demande des explications, plusieurs fois mais toutes restent lettres mortes.

105ème jour :
Rodolphe, le gérant d’Immocal me convoque pour un dossier qui aurait du être traité depuis des mois. J’ai oublié. Je l’ai perdu. Je n’ai pas que ça à penser. Je me fiche de ces foutus dossiers. Je l’envoie paître. Il se fâche. Je le baffe. Je suis viré. Je m’en fous. Seul le silence de M accapare mes pensées.

110ème jour :
J’efface toutes les données de mon disque dur. Je quitte définitivement la boite. M me rattrape sur le parking pour me demander si je vais bien. Elle est triste pour moi. Elle pense beaucoup à moi. Je lui manque. Je le savais, on ne peut pas finir comme ça, une si belle histoire d’amour. Elle est amoureuse de moi, j’en suis certain, maintenant.

121ème jour :
M me demande de ne plus l’appeler. Elle me dit qu’elle a rencontré quelqu’un. Un comédien dont elle est amoureuse. Mes appels incessants la gênent.

128ème jour
M ne répond plus au téléphone.

141ème jour :
Le numéro de portable de M n’est plus attribué.

153ème jour :
Je suis arrêté par la police vers 10h30 devant le bureau de l’agence immobilière. Je suis torse nu et je hurle de douleurs le nom de ma dulcinée. Hier, je me suis fait tatouer « Marjorie » en lettre gothique en travers du torse. Je me débats. Je finis sanglé sur un brancard. Je suis interné à l’hôpital de la Trocardière.

C’est sûr, Ils vont me confisquer mon cahier.



Illustration : m, par seafoodmwg, sur DeviantArt

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Commentaires
D
Gwen, l'archiviste du cri du cagou.<br /> Big up à lui !
G
http://lecriducagou.com/?p=6949<br /> <br /> "...La veille au soir, par précaution,<br /> <br /> A l’heure de boire le bouillon,<br /> <br /> Ils lui avaient pris ses brouillons,<br /> <br /> Mais hélas, laissé son crayon…"<br /> <br /> Laurent OTTOGALLI
D
d'autres > Relis les "feuilles mortes" d'Ottogalli qui traîne sur le cri du cagou (catégorie "poésie" ou "slam") : "C’est sûr, Ils vont me confisquer mon cahier."
D
(Où ça un clin d'oeil, Djimi ?)<br /> <br /> J'aime le format cahier pour consigner une expérience. J'aime que le narrateur se mente à lui-même dès avant l'expérience, alors que la description de M dans son introduction témoigne déjà d'une attirance forcenée.<br /> <br /> J'aime moins ce 153è jour, peu crédible en regard du reste, un peu comme la chute de You-Koun-Koun : qu'il se fasse choper et interner semble probable, qu'il soit en mesure d'en témoigner, tant psychologiquement que physiquement, alors qu'on l'a interné, ne tient pas, son cahier lui a été confisqué depuis belle lurette à ce stade. Par contre, pourrait être intéressant un commentaire du psy qui l'aura examiné, permettant cette chute de manière cohérente.<br /> <br /> J'aime la tentative de confidentialité, masquant tout du long le prénom de sa ... proie, de son élue, ou que sais-je, pour finir par se le tatouer en gros sur la brioche. La meilleure illustration de l'exagération permanente de ce quadra taraudé par l'ennui, qui se prend au sérieux au point de donner un suivi expérimental à une fausse expérience.<br /> <br /> En conclusion, j'aime cette chronique banale autant que précise d'une crise de la quarantaine, sublimée dans sa banalité par le format amusant et la position dans laquelle on pose le lecteur, témoin sensible des frasques de ce pauvre gars sérieusement dérangé.
D
Le principe même de l'expérience est succulent. L'idée du type qui se lance dans cette aventure "juste pour voir s'il est cap' " et qui annote toutes ses avancées comme un véritable scientifique donne le prétexte à une analyse à peine appuyée d'un "démon de midi" basique et sans subtilité. <br /> <br /> L'avancée dans le temps, la régularité des points de contrôle mettent bien en valeur l'évolution des sentiments du personnage, jusqu'à devenir que la chronique descriptive d'un quadra amoureux d'une jeune fille et de la situation dramatique qui en découle. <br /> <br /> Ca commence comme un défi, ça devient un jeu, puis ça vire au touchant pour finir en banalité affligeante. <br /> <br /> La fin est vraiment truculente, j'ai aimé rire aux dépends de cet énergumène tatoué qui se donne en spectacle torse-poils devant les flics ! C'est pathétique à souhait, et le pire c'est qu'il n'y a même pas de morale à tout ça !
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