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Zone d'expérimentation
24 juillet 2009

Le testament que je n'écrirai jamais, par dvb

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C'était donc ainsi ! Tout n'était qu'une histoire de pognon. Toutes ces années de famille, de travail, de patrie, tout ça pour en arriver là ! Se voir réduit à la dimension d'un bout de papier de quinze centimètres endossable ? Bientôt Jean-Louis serait glissé dans la fente d'une machine, scanné, décortiqué, démembré, divisé, partagé entre cette bande de raclures ineptes : sa famille.

 

Non ! Il ne se laisserait pas dévorer par ces asticots ! Pas de son vivant tout au moins. Il lui restait suffisamment de temps pour une dernière vengeance !

Tout avait commencé au bal du quinze août il y a trente ans de ça, lorsque ébloui par les chevilles tourbillonnantes  de Mathilde, il en avait perdu l'équilibre et renversé son Picon-bière sur les jupons de cette infâme Maryvonne, qui dès lors ne le lâcherait jamais plus d'une semelle, l'expédiant tout d'abord devant Monsieur le Maire, puis à l'usine, puis à la maternité, et qui aujourd'hui s'apprêtait à l'enterrer vivant.

 

 

L'usine, comme beaucoup d'autres, était restée sourde et muette, pendant très longtemps au sujet de ces microparticules de poussière d'amiante qui avaient eu la mauvaise idée de s'inviter à l'insu de tous, lors des travaux de construction. La belle entreprise qui avait fait la gloire et la fortune du pays, était désormais diabolisée et démantelée afin de pouvoir payer les sommes pharaoniques que la Justice avait décidé de distribuer arbitrairement à ses anciens salariés ingrats.

 

D’ici peu, Jean-Louis aurait aussi le droit à sa part, plutôt rondelette soit dit en passant, au vu des souffrances que lui et sa famille avait dû endurer à cause de ce cancer qui se déclarait.

 

La vérité c'est que tout avait été exagéré : la douleur insoutenable était toute relative face à celle de certains de ces anciens collègues sous assistance respiratoire, la lourdeur des soins palliatifs se résumait à des biopsies hors de prix, mais remboursées, et des passages dans de grosses machines irradiantes deux fois l'an ; le chagrin de sa famille était quant à elle, une  mascarade honteuse.

 

Jean-Louis se souvenait d’une fois où sa future veuve s'était présentée avec un masque de tristesse entourée d'avocats devant une présidente du Tribunal compatissante; sa fille s'était effondrée et avait chialé comme une fontaine en évoquant le futur manque que la mort de son papa laisserait dans sa vie. Insurmontable. N'empêche que cette connasse ne le prenait dans ses bras que dans la salle des pas perdus. Pour le reste elle était juste bonne à lui taper du fric à longueur de semaine.

 

 

 

Depuis ces premières années de travail, les gens intéressés s'étaient toujours bousculés pour lui tendre un crayon afin de lui faire signer contrat de mariage, assurances vie, assurances décès, forfaits obsèques, plan d'épargne et donation au dernier vivant.

 

 

 

Le directeur de s ressources humaines avait prévu un contrat-groupe très avantageux pour le personnel, « au cas où ».

 

Puis ce fût le syndicat de travailleurs, qui avait contesté la validité d'un tel acte « visant à corrompre et faire taire les forces besogneuses en leur faisant miroiter une carotte qui n'avait de seule richesse que celle apportée à la direction et aux actionnaires... ».

 

Puis un avocat était venu de Paris prendre les choses en mains afin de les défendre et de protéger leurs intérêts individuels et collectifs. Moyennant une cotisation annuelle à un fonds de pension spécifique, ils pourraient tous obtenir les meilleures options de dédommagement.

 

Ses collègues mourraient les uns après les autres; leurs veuves se rassemblant en une association de plus en plus imposante et virulente, leurs voitures et leurs toilettes devenant au fur et à mesure toujours plus luxueuses.

 

La Sécu s'en été mêlée à son tour : des solutions existaient, il fallait les exploiter.

 

Le coup de grâce fut porté par son « conseil » : Maitre Huntel, notaire à Saint Fiacre, docteur en Droit, diplômé de la Faculté de Grenoble. Celui-ci l'avait conseillé et aidé à rédiger son testament, laissant le moins de place possible au hasard, répartissant ses biens de façon ingénieuse et fiscalement inatteignable.

 

Jean-Louis avait décidé, comme souvent de prendre le temps de réfléchir, mais l'empressement de femme, enfant, notaire fut telle qu'il signa de bonne grâce, leur souriant affablement, entouré qu'il était, de l'amour des siens... ou plutôt de SES BIENS.

 

Il s'aperçut de son erreur quelques jours plus tard, en voyant sa fille bécoter le premier clerc. Il en eut la confirmation lorsqu'il surprit sa femme s'engueuler au téléphone avec sa soeur, lui intimant de se taire et lui affirmant que de toute façon elle n'aurait rien, que dalle, nada, que cet argent était le sien, qu'elle le méritait, et que de toute façon elle ne lui devait rien, même pas cette robe de mariée payée entièrement par leur mère.

 

La puce à son oreille lui ordonna de faire quelque chose de toute urgence : on était en train de le « liquider » en bonne et due forme. Les pronostics de son médecin étaient pourtant rassurants ce matin. Il avait même décidé d'annoncer à table ce midi qu'une bonne partie des polypes avaient disparus.

 

Au lieu de cela, il décida plutôt de rédiger SON testament, celui qu'il ferait lui même, décidant de réduire à néant les espoirs morbides de son entourage. Pour cela, il devrait tout d'abord acheter un code civil, un bouquin de droit des successions, faire un tour sur internet pour traduire tout ça en langage humain, et ensuite résilier les pouvoirs de son « exécuteur testamentaire » et d'en choisir un autre qui n'aurait de quelconque intérêt à tirer de sa mort.

 

Alors ça non ! Ces rats n'auraient rien du tout !

 

Et il se ferait même un plaisir de le leur montrer, le sourire aux lèvres. Oh oui ! Il rirait devant leurs têtes déconfites. Adieu les manteaux de fourrure, les caravanes trois étoiles, les voyages  en Nouvelle Calédonie !

 

Il irait distribuer tout cet argent à des gens qui le méritaient vraiment : l'association de défense des martres, son neveu André qui avait fini handicapé à la suite d'un accident pendant son service militaire, et pourquoi pas aller dépenser le reste en payant des coups à tous les ivrognes du village ! Et s'il le voulait il entretiendrait même une poule plus jeune et plus gentille que sa mégère de Maryvonne !

 

Mais avant tout il s’était décidé à venir me voir, se souvenant que j’avais obtenu ma licence de droit avant de venir travailler à l'usine, comme tous les hommes de la région. Il m’avait dès lors appelé au téléphone, pensant que je saurais sûrement lui rédiger ce fameux testament.

 

Ainsi il prit son manteau, ouvrit la porte violemment et prit son destin fermement en main. De la cuisine sa femme lui cria de ne pas sortir : le déjeuner serait prêt d'ici quelques instants. Ecrasé par des décennies d'obéissance servile, il n'eut pas le courage d'affronter tout de suite la colère de sa femme.

 

Tant pis, après tout il avait toute la vie devant lui pour accomplir son plan machiavélique. Autant profiter de ce dernier repas en paix. L'hypocrisie serait aujourd'hui son alliée.

 

Quand le médecin arriva une heure plus tard, il était cependant trop tard. Il venait de décéder, étouffé par les noyaux des cerises qu'il aimait tant.

 

Le notaire avait bien fait son boulot, les biens seraient partagés de façon tout à fait ingénieuse et fiscalement inatteignable.

 

Toutefois les sommes pharaoniques promises ne seraient jamais versées, sa mort accidentelle n'ayant rien à voir avec une maladie professionnelle qui avait d'autant plus refusée de se déclarer.

 

Finalement il y avait bien une Justice sur Terre, testament … ou pas !

dvb2

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Commentaires
D
N'empêche "JE" l'a pas écris :p <br /> <br /> (j'avais prévenu hein !)
D
Tiens, je ne comprends pas ce qu'est un bout de papier de quinze centimètres endossable, à glisser dans la fente d'une machine.<br /> (le chagrin de la famille était quant à lui)(je ris en lisant l'histoire de voitures et de toilettes et pense aux chiottes en or de Gwen, parce que je n'ai pas le commentaire sous les yeux pour juger de son ironie)(on ne s'inquiète pas assez de la protection des martres, je trouve)(t'as bossé à l'usine, toi ?)<br /> <br /> Ouaip, vrai de vrai, j'aime ça. Un poil de social (comme quoi les travailleurs indépendants pourraient avoir une âme), une touche de médiocrité crasse qui me fait penser à Ted Bundy, Married with children (niveau entourage j'entends), une bonne dose d'ironie vengeresse et une double chute chantant fort "le lapin ! le lapin ! le lapin !" Tous les ingrédients pour une lecture amusante dont le camarade finistérien a le secret.<br /> Et pour faire bonne mesure, le bougre colle au sujet, c'est dire comme c'est bon.
3
Heuuuu ... La griotte ? (pour la cerise hein)
L
C'est intéressant et aussi acide qu'une cerise aigre :ces petites cerises d'un rouge translucide dont la chair colle au noyau....<br /> J'aime bien que les méchants ne soient pas récompensés,surtout les filles pas aimantes qui en veulent aux sous de l'amiante et n'embrassent qu'aux pas perdus.
G
Encore une fois c'est très drôle.<br /> J'aime le non recours aux dialogues, style que tu maîtrise trop bien. J'aime que tu te mettes un peu en danger en écrivant autrement.<br /> J'ai souri à l'allusion de la Nouvelle Calédonie (tu connais ton lectorat, on dirait)<br /> J'aime l'idée que les pauvres quant ils amassent soudainement du fric achètent des voitures et des chiottes de luxe. Je ne sais pas pourquoi mais je trouve que ça sonne juste.
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