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Zone d'expérimentation
27 juillet 2009

L'exécution testamentaire 1/3, par d'autres

notary_by_ex_trem

Le notaire appelle le dix juillet, cinq ans jour pour jour après le décès de Tiaré. Il demande à Maël de passer à son étude rapidement. Laconique, il refuse de fournir une raison, sinon que c’est impératif ; peut-être cette après-midi ?
Maël lui répondrait bien qu’aujourd’hui, s’il ne bosse pas, comme tous les ans, ce n’est certainement pas pour céder aux injonctions d’un officier ministériel. Pourtant ça fait cinq ans. Cinq ans qu’il sombre à cette date sans savoir y remédier. Cinq ans que ses amis l’exhortent à vivre autrement cette journée pénible, entouré au moins. Cinq ans qu’il revit la même journée, sans pouvoir y faire mais. Peut-être est-ce là une occasion inattendue de rompre la boucle. Il accepte donc.

La maison est dans une rue étroite. Une façade grisâtre, peu engageante, pas même rehaussée par la plaque de bronze défraîchie. Maître Rugueaud, Notaire. Maël l’imagine déjà couperosé et peu amène. Ça collerait assez avec sa voix.
A l’intérieur, il retient avec peine un éternuement. La poussière est maîtresse. Une épaisse couche, assortie à la façade, obscurcit les vitres, feutre les pas sur le parquet, étouffe toute velléité de vie. L’abandon pourrait avoir frappé la réception si une petite femme fripée ne le scrutait pas de deux yeux aussi noirs que vifs depuis son bureau.

- C’est pûrqwââââ ? traîne-t-elle sans grande conviction.
- Bonjour madame. Je suis monsieur Goudevann. Maître Rugueaud m’a demandé de passer le voir cette après-midi.
- Bûgez pas, j’vais woâr c’que j’peux faire, promet-elle sans esquisser le moindre mouvement.

Un peu gêné, Maël ne sait comment réagir. Aussi ne bouge-t-il pas, littéralement, se demandant si on n’est pas en train de se moquer de lui. Face à lui, la secrétaire le dévisage avec la même insistance et le même immobilisme. Seuls ses deux petits yeux noirs semblent vivants dans la pièce.

- Excusez-moi, se risque Maël au bout de quelques minutes, y en a-t-il encore pour longtemps, je suis un peu pressé, voyez-vous. Il ne dit rien des crampes sur le point de naître dans ses jambes.
- J’vûs ai dit d’pas bûger ! crache son interlocutrice. Oen wâ s’cupper d’vûs.

Un frisson le parcourt. Quelque chose dans le ton de la secrétaire lui explique que son avis, son temps, son intérêt, sa présence, tout cela importe peu, qu’il n’a d’autre choix que d’attendre, qu’il le veuille ou non. D’avoir passé le seuil lui a fait perdre la maîtrise de la situation. Les choses se passeront de son aval.
Ses souvenirs, écartés par l’incongruité de l’entrevue, en profitent pour reprendre le dessus. Il y a cinq ans, Tiaré se rompait la nuque en glissant de l’escabeau, et mettait un terme définitif à leurs préparatifs de mariage. Il y a cinq ans, il la regardait tomber à la renverse dans un ralenti hypnotique, au lieu de courir vers elle pour la retenir. Il y a cinq ans, sa compagne, son âme sœur, la femme qu’enfin il se sentait capable d’aimer, mourrait dans un craquement sinistre parce qu’il n’avait pas réagi. Il y a cinq ans qu’il cherche la raison de son comportement. Il y a cinq ans qu’il s’est condamné pour non assistance à personne en danger sans avoir encore prononcé de sentence. Il y a cinq ans qu’il cherche le chemin de l’expiation, jours et nuits. Il y a cinq ans que …





Illustration : notary, par ex-trem, sur DeviantArt

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