Île et Aile, par Gwen
Il est arrivé
un bon matin en avion aux frêles ailes d'acier.
Elle est née
dans l'Île, à quelques kilomètres de l'aéroport.
Il avait pour tout
bagage un gros sac à dos et beaucoup d'ambitions.
Elle n'avait jamais
quitté son clan mais elle avait le rêve réaliste
de parcourir la Terre.
Il fuyait la
métropole et le chômage. On lui avait dit qu'en Nouvelle
Calédonie l'argent coulait à flot et qu'il n'y avait
qu'à se baisser pour s'engraisser.
L'histoire du pays
lui avait donné la double identité. Chez elle, kanak et
européenne dès qu'elle marchait hors de sa tribu et de
ses cocotiers.
Si ce n'est la
douceur étouffante du climat, il se serait cru pour un peu à
la Roche sur Yon ou à Neauphle-le-Vieux.
Elle menait une vie
d'une simple complexité faite d'études et de travaux
coutumiers.
Il ne connaissait
rien et ses nouveaux amis étaient métropolitains.
Elle croyait au
progrès et aux anciens, à l'ancien progrès et
aux progrès des anciens.
Il a trouvé
du travail, un petit boulot de rien. Puis un autre et encore un qui
lui faisait manger son pain.
Elle regardait son
parcours avec l'envie de participer au développement du pays.
Il croisait de loin
ces autochtones aux mœurs familièrement étranges et
inconnus
Elle se méfiait
des motivations des métros qui repartaient toujours aussi vite
qu'ils étaient venus.
Il avait finit par
trouver un studio mal insonorisé et hors de prix.
Elle vivait toujours
avec sa famille, dans une case bordée de frangipanier.
Elle rêvait
d'un avenir radieux pour ses neveux et ses cousins.
Il rêvait de
vendredis soirs et des sorties en boite de nuits.
Elle faisait des
petits boulots pour gagner de l'argent de poche.
Il gagnait presque
sa vie en trimant plus qu'il en avait envie.
Elle souhaitait
éduquer la jeunesse sans quitter ses racines.
Il a du quitté
la capitale pour exécuter un contrat en brousse.
Elle a trouvé
une formation à deux pas de chez elle.
Il a croisé
son regard,
Elle a vu qu'il la
regardait.
Ses yeux se sont
brouillés,
Sa tête s'est
embrumée.
Elle zozotait.
Il bégayait.
Elle tremblait.
Il avait les jambes
en coton.
Ils ont mis du temps
pour se parler mais quand ils ont commencé rien n'a pu les
arrêter.
Elle a parlé
de son pays,
Il a écouté
son cœur,
Il a parlé
des ses passions,
Elle n'écoutait
plus sa raison.
Il l'appelait Île.
Elle l'appelait
Aile.
Quand elle a
accouché de ce bébé, moitié moitié,
La peau ambrée,
les cheveux bouclés, les yeux clairs,
Ils ne faisaient
plus qu'un.
Ils l'ont appelé
Îlaile !
Illustration : Opposite directions, par MagdaMontemor, sur DeviantArt