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Zone d'expérimentation
18 février 2010

Noël Joyeux, par Gwen

Santa_Claus_on_summer_by_Emaretta



A partir du CP, ma mère à décidé que je pouvais revenir de l’école à pied, tout seul. Elle m’avait confié une clef de l’appartement en me disant d’y prendre bien soin et surtout de ne pas la perdre. J’étais fier de cette nouvelle responsabilité et comme j’allais maintenant à l’école des grands je devais me comporter comme un grand. Je portais la clef autour de mon cou attaché par une cordelette de coton blanc bien caché sous mon tricot de peau.
J’avais une rue à traverser, sur un passage clouté et ensuite je ne devais même pas changer de trottoir pour arriver jusqu’au porche de l’immeuble.
Je passais sans m’arrêter devant le « Bar PMU Des Sportifs ». Plus loin, je m’attardais un peu devant la vitrine du tabac presse où j’essayais de déchiffrer les unes des journaux exposés en devanture.
Quand j’étais là, il ne me restait qu’a tourner au coin de la rue, courir encore deux cent mètres et j’étais arrivé. Devant la porte j’étais presque fébrile à l’idée d’être tout seul à la maison. La plupart du temps j’entendais la voix grave de mon père : « C’est ouvert ! » qui était déjà rentré du travail. Parfois, je devais trouver la clef, l’enfoncer dans la serrure, l’agiter dans tous les sens pour réussir à la tourner et à ouvrir la porte. Généralement, je m’empressais d’aller dans le placard à biscuit pour me prendre une triple ration de goûter que je dévorais sur mon lit, une BD ouverte sur les genoux. Je ne faisais rien de bien extraordinaire mais une bouffée de liberté accompagnait ces moments de solitude.

Un matin de printemps, alors que je venais de tourner au coin de la rue, je suis tombé nez-à-nez avec un clébard qui faisait le Cerbère du trottoir. Je me suis arrêté net. Le chien était de taille moyenne, un batard de la pire espèce avec la langue pendante, l’oreille gauche bien droite et l’oreille droite en lambeaux. Il portait à la place d’un collier, un bandana rouge. Je ne pouvais ni bouger ni détacher mon regard du chien. Lui non plus ne bougeait pas. Il a retroussé ses babines pour me montrer ses canines. Je ne savais pas quoi faire, j’avais envie de faire demi-tour et déguerpir. Malheureusement l’endroit où j’avais le plus envie de me réfugier, ma chambre, passait inexorablement par ce chien qui me bloquait le trottoir. Je reculais, le chien avançait d’un pas, toujours en me fixant du regard. Je ne lâchais pas des yeux non plus. Il a jappé. J’ai hurlé de peur et je me suis oublié.
«  J’ai pissé dans mon froc ! »
C’est le moment qu’il choisit pour intervenir : « Nixon ! Au pied ! »
Je ne l’avais pas remarqué, obnubilé que j’étais par le chien. Il était assis par terre sur un vieux carton. Il semblait vraiment sale. Il avait un bonnet sur la tête qui plaquait ses longs cheveux blancs contre ses joues dévorées par sa barbe. Elle était blanche, impressionnante comme s’il ne l’avait pas taillée depuis des années. Il portait une veste parka qui dans une lointaine époque avait du être rouge. Ses chaussures étaient trouées et pour compléter l’ensemble son pantalon de velours n’avait plus ni couleur ni forme. Rien qu’à le regarder, on pouvait voir qu’il sentait mauvais, un mélange de sueur, de crasse et de vinasse. Il voyait bien que je le dévisageais. Il a engagé un sourire, me présentant sa bouche édentée. Le chien était revenu à ses côtés, j’en ai profité pour prendre mes jambes à mon cou et me sauver chez moi.

Je retrouvais ce vieux clochard tous les jours sur ma route. J’avais appris à l’anticiper. Je traversais la rue devant le tabac presse. Je faisais bien attention de ne pas me faire renverser par une voiture, pour ne pas faire de peine à mes parents. J’allais jusqu’au croisement suivant. Je retraversais la rue sur le passage piéton et je me retrouvai sur le trottoir en face. Tout en pressant un peu le pas, je pouvais, du coin de l’œil, observer le clochard. Il avait trois chiens, Nixon, Carter et Ford, qui ne le quittaient jamais. Si Nixon semblait un peu agressif, les autres étaient toujours très calmes. Ce vieux clochard, malgré sa crasse, avec cette immense barbe blanche avait un visage qui me semblait familier. Quand je passais en face de lui, il était souvent endormi ou il criait sur Nixon.
« Nixon, ta gueule ! »
« Nixon, au pied ! »
« Nixon, t’as finis de faire chier le peuple ! »
« Nixon, chien de con ! »
Dès qu’arrivait octobre, il disparaissait avec ses chiens et son carton.

A neuf ans, je n’avais pas changé mon itinéraire et lui était toujours là, dès que revenaient les beaux-jours. Le mercredi, j’entrais dans le tabac-presse et achetais avec mon argent de poche, mon magazine hebdomadaire de bande dessinée « Pif Gadget ! ». Je le feuilletais impatiemment en chemin et il m’arrivait parfois, absorbé par ma lecture, d’oublier de traverse la rue. Je me retrouvais donc sur le même trottoir que le clochard et ses chiens mais avec le temps Nixon ne me faisait plus peur. Un jour, la couverture de mon magazine était entièrement noire avec un gros titre alarmiste : « Rahan est mort ! ». Je parcourais rapidement les pages du journal pour arriver à ce qui sera la dernière aventure de mon héros favoris. Je ne faisais plus attention à la route et mon pied à du se prendre un trou. Je me retrouvai étalé de tout mon long, le genou écorché et en larmes devant le clochard.
Nixon a aboyé. « Ta gueule, Nixon ! » Le clochard s’est approché de moi et m’aida à me relevé. « Pleure pas, petit, c’est rien ! ». Mon journal gisait dans le caniveau complètement trempé. De rage, j’en pleurai de plus belle. « Regarde ton genou, il est juste écorché, c’est rien ! ». Pour me consoler, il passait sa main sale dans mes cheveux. « Comment tu t’appelles, petit ? » Je réussissais à balbutier mon nom « Noël ! »
- Noël ? C’est drôle ça, moi aussi je m’appelle Noël ! » Je le regardais, incrédule. J’en oubliai la douleur, mon genou et Rahan qui était mort et dans le caniveau tout trempé.
- rentre vite chez toi, Noël, avant que tes parents ne s’inquiètent » Ce que je fis.
Les semaines qui suivirent, à chaque fois que je passais à sa hauteur et qu’il semblait éveillé, je le saluais d’un « Bonjour Noël ! » et lui me répondait d’un « Ça va, Noël ? » qui nous faisait mutuellement sourire.

A 12 ans, le mercredi, je trainais avec Jean-Pascal, un camarade du collège. Il n’avait pas son pareil pour imaginer des blagues. Une fois, nous nous étions cachés derrière les buissons de la résidence qui surplombaient le bout de trottoir que squattait Noël. Dissimulés derrière les branchages, nous jetions des gravillons sur les chiens pour les faire aboyer. Quand ils aboyaient, Noël se réveillait, hurlait sur ses chiens et se ré assoupissait. Nous étions pliés de rire. Jean-Pascal eut cette répartie qui est restée par la suite :
« A toujours gueuler, c’est un joyeux Noël ! ». Depuis je l’appelais Noël Joyeux. Une autre fois, Jean-Pascal jetait des cailloux directement sur le clochard. Noël se leva d’un bond. Il se mit à gueuler très fort dans notre direction. Pourtant bien caché derrière les buissons, nos regards se sont croisés. J’ai vraiment eu honte de faire ça à ce malheureux qui autrefois avait été si gentil avec moi. Petit à petit, j’ai arrêté de trainer avec Jean-Pascal mais ma route croisait toujours celle de Noël Joyeux.

Quand j’ai eu 13 ans, Carter a disparu, puis se fut le tour de Nixon, l’année suivante. Un autre chien est arrivé « Ronny ».
Je suis rentré au lycée, je roulais en mobylette. Je ne prenais plus le temps ni de m’arrêter ni de le saluer.

Le soir des résultats du Baccalauréat, avec notre petite bande de lycéens, nous sommes allés au PMU du coin de la rue, pour arroser nos victoires. Je rentrais bien éméché, à pied. Je trouvai le vieux Noël sur son bout de macadam, lui aussi, complètement bourré. Je me suis laissé tomber à côté de lui et nous avons commencé à discuter. C’était la première fois que nous échangions des mots depuis mes neufs ans. Nous avons parlé toute la nuit.
II me racontait sa vie, avant que la rue la lui prenne. Il avait été vétérinaire, autrefois. Ce détail nous rapprochait, j’attendais une réponse de l’Ecole Nationale de Vétérinaire de Nantes. Sa passion des animaux l’avait amené à s’engager pour Vétérinaire Sans Frontières et il avait travaillé pendant des années dans des parcs nationaux au Kenya. Je n’imaginais pas que ce clochard avait pu vivre de telles aventures. Il avait beaucoup roulé sa bosse, voyagé partout dans le monde avec sa fidèle compagne, une bouteille de pinard. Si je mettais de côté son penchant pour l’alcool et sa déconfiture, le parcours de Noël Joyeux était celui que je rêvais de faire depuis mon enfance. Je l’écoutai, bouche bée, voyageant à ses côtés, là ou autrefois, gamin, mon imagination me portait. Au petit matin, je me suis levé, j’ai fouillé mes poches et je lui ai laissé tout l’argent qui me restait de ma soirée, comme pour le remercier et je suis rentré me coucher.

Je n’ai plus eu l’occasion de le revoir. J’ai suivi mes études de vétérinaire que j’ai arrêté en deuxième année. Je collectionnai les petits boulots avant de trouver une place de fonctionnaire dans une collectivité. J’ai rencontré Anne-Sophie avec qui je me suis marié, après deux années d’essais et une grossesse non désirée.
En passant voir mes parents, le dimanche, avec femme et enfants, pour un déjeuner un peu coincé et bien arrosé, je regardais le trottoir, surtout au retour du printemps. Noël n’était plus là depuis un bout de temps. A sa place, une bande de punks, le crane rasée et couvert de piercing tapait de cent balles les promeneurs du quartier.
Avec le temps, j’ai eu de plus en plus l’appétit pour le rosé. Il noyait mon ennui et ma vie qui semblait ratée. Pour tout dire, ma femme me saoulait et je préférais la conversation de mon cabernet.
Un tourbillon rosé m’a entrainé dans une spirale infernale. J’ai chuté. La vie s’est brouillée, embrouillée dans un long trou noir impossible à maîtriser.

Je me suis réveillé un matin, j’étais à la rue et j’avais pris un bon coup de vieux. Je n’avais plus très bien le souvenir de ma gosse et de ma grosse. Je me suis laissé aller. La plupart du temps je restais affalé, sur un banc. Dans un sursaut de dignité, un matin, plein d’entrain, je suis allé à l’armée du salut. Pour ne pas attraper la mauvaise grippe, j’ai enfilé un bonnet et je suis reparti avec la première veste parka qui trainait là. Je m’en suis allé en marchant où mes pieds voulaient bien m’emmener. Un clébard s’est mis à me suivre, puis un autre et un troisième. C’est sans difficulté que j’arrivais à mendier quelques pièces pour ne jamais manquer de rosé. Fatigué, sur un bout de trottoir je me suis assis. Je suis resté là. Je picolais et je gueulais sur mes chiens, j’étais bien, enfin.

Un matin comme un autre, c'est-à-dire qu’il devait être midi, devant moi un petit merdeux s’est étalé. Il pleurait, alors je l’ai consolé. Il avait le genou écorché et dans sa main, un journal tout trempé.
« Pleure pas, petit, c’est rien ! »
« Comment tu t’appelles, petit ? »
« Noël » qu’il m’a répondu !
- Noël ? C’est drôle ça, moi aussi je m’appelle Noël ! »
Plus tard, il m’offrira peut-être une occasion de lui raconter mes aventures fabuleuses au Kenya.



Illustration : Santa Claus in summer, par Emaretta, sur DeviantArt

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Commentaires
D
Bon. Tu demandais, lors de la lecture, si le début n'était pas trop long, eu égard à son peu d'intérêt par la suite. Je dois dire que si à haute voix c'est passé, la hâte d'entendre l'histoire se dérouler, lue dans le calme de l'appartement sur un ordinateur, c'est tout de suite moins passionnant … Nous avions convenu que ça posait bien la scène en soulignant la solitude du garçon ; j'en suis maintenant moins convaincu. Peut-être cela mériterait-il d'être substantiellement synthétisé.<br /> « … l’endroit où j’avais le plus envie de me réfugier, ma chambre, passait inexorablement par ... » ce n'est pas tant le lieu du refuge que le chemin pour y accéder qui passe par … Peut-être « l'endroit […] chambre, me faisait inexorablement passer par … »<br /> « Je ne lâchais pas des yeux non plus. » Manque ce que tu ne lâchais pas des yeux. « Je ne le lâchais ... »<br /> (J'aime « Je faisais bien attention à ne pas me faire renverser par une voiture, pour ne pas faire de peine à mes parents. »<br /> « Je parcourais rapidement les pages du journal pour arriver à ce qui seraIT la dernière aventure ... »<br /> « Le clochard s'est approché et m'aida à me relever. » Il serait sans doute judicieux de conserver le même temps dans les deux propositions : soit le passé composé du début, plus en phase avec le ton du texte, soit le passé simple de la fin, mais pas un mélange des deux dans la même phrase.<br /> « Pour me consoler, il passait sa main sale ... » Concordance de temps. Passé simple, j'imagine qu'il n'a pas gardé ses doigts des heures dans ses cheveux, ne serait-ce que parce que le petit serait parti en courant depuis longtemps …<br /> De la même manière, « Je réussis à balbutier ... ».<br /> « … qui nous faisaiENt mutuellement sourire. » deux échanges, le pluriel.<br /> «  Une autre fois, Jean-Pascal jeta_ des cailloux directement ... » « Pourtant bien cachéS ... »<br /> « Il me raconta_ … sa vie ... »<br /> En dernier, une réserve répétée quant à la fin. Je reste convaincu que la boucle doit rester suggérée plutôt qu'affirmer, ce que ne permet pas « Plus tard, il m’offrira peut-être une occasion de lui raconter mes aventures fabuleuses au Kenya. » Il y a trop d'assurance dans l'avenir de cette phrase, et je ne crois pas que Noël 2 ait déjà conscience de la répétition du schéma. Du conditionnel, « tiens, je lui aurais bien raconté mes aventures au Kenya » par exemple, pour confirmer la boucle sans la rendre évidente pour le personnage, manifestement inconscient de ce fait. Une idée.<br /> <br /> Quant à la teneur du texte lui-même, j'aime, indubitablement. La rencontre fortuite, l'accroissement progressif des échanges, le remplacement imperceptible d'un personnage par le second, jusqu'à instaurer une boucle à la Palahniuk (je ne parviendrai pas à me l'ôter de la tête) confèrent à cette histoire la juste dose de réalisme et de fantastique pour un résultat plus qu'agréable.<br /> Erick a raison quant à l'emploi des mots de liaison, ça fluidifierait la narration, la rendant moins hachée (l'effet phrases courtes), mais en l'état ça reste plaisant.<br /> Un sourire relatif à l'accoutrement « père Noël » des Noël. Ca aurai pu être incongru, ça ne fait qu'orienter la compréhension hors du champs de l'histoire en singularisant bien le personnage du clochard.
G
pour ton commentaire<br /> C'est sûr que je suivrai tes conseils<br /> Les mots de liaison<br /> et pour la lourdeur de la phrase, tu as raison sans aucun doute<br /> Quant aux accords... boudiou ! Il va falloir que je fasse de sérieux efforts
D
va te coucher, Erick...
E
J'aime bien. Je l'ai lu avec une voix avinée, pour le réalisme. C'est marrant de chercher ce qui est autobiographique là dedans. Ca m'a rappelé pas mal de souvenirs en tout cas, de mon année dans la rue et de toutes ces tranches de vie cachées sous la crasse.<br /> La chute est vraiment bien, à dégoûter de se prénommer Noël.<br /> Je trouve que tu devrais faire en effort sur les mots de liaison dont l'usage fluidifierait le texte plutôt que toutes ces phrases mises bout à bout.<br /> Attention aux fautes d'accord "les études de vétérinaire que j'ai suivIES. Cette même phrase est assez lourde: J'ai suivi mes études de vétérinaire que j’ai arrêté en deuxième année. C'est sur que ce ne sont pas les études de quelqu'un d'autre que tu as suivies. J'ai...mes...j'ai.<br /> Voilà ce qui me vient à l'esprit embrûmé pour le moment.
G
C'est mieux ainsi ! Tu n'as pas ri à ma feint de maître jet d'encre mais tant pis...<br /> Merci pour l'orthographe
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