Je peux te taxer ? 1/2, par Gwen
J’appuie
de toutes mes forces sur les pédales.
Purée ! Il est déjà 18h20, nous avions
rendez-vous à 18h00. Une fois de plus, je suis en retard. La
pluie m’oblige à plisser des yeux. Encore quelques mètres
et je pose mon vélo contre un lampadaire. Je ne prends pas la
peine de l’attacher, personne ne viendra me le voler. Challans dort
déjà. En novembre, pas un chat ne traine dans les rues
dans ce patelin de Vendée avec ce temps, à cette
heure-ci. J’entre dans la salle de réunion.
« - Bon sang, Max, tu n’arriveras donc jamais à l’heure ? »
m’accueille Jyssé.
La
pièce est froide
et vide. Ça sent le moisi et le manque d’aération. Ça
sent le vieux. Les murs blanchis à la chaux sont couverts de
salpêtre.
« -
Ma mère voulait que je lui ramène du pain. »
Je me justifie et je déteste ça. Je salue de la tête
Green et Popaul attablés autour d’une massive table en chêne
recouverte d’une toile cirée au motif champêtre. Ils
ont chacun une kro ouverte devant eux. Il n’y a pas de cacahuètes.
-
Maintenant que Max est
arrivé, est-ce que tout le monde est là ? Nous
n’attendons plus personne ?
Silence.
Au plafond, un néon bourdonne. Sa lumière refroidit
encore l’atmosphère. Je garde mon blouson et je m’assois
face à l’unique décoration de la pièce. Sur le
mur est punaisée une reproduction d’un tableau biblique.
-
Camarades !... » Jyssé, toujours debout
accompagne sa parole en levant le poing gauche.
-
Excuse-moi de te couper
la parole mais tu ne peux pas commencer notre réunion en nous
appelant « camarades ». C’est trop connoté.
-
Ah ?
-
Ben oui Jyssé !
Nous nous réunissons ce soir pour créer un mouvement
anarchiste. Nous n’allons pas commencer nos réunions par
« camarades » !
-
D’accord, j’accepte
la motion ! Je reprends : Mes frères…
-
Là Jyssé, tu déconnes ! Nous sommes des
anarchistes ! Nous allons nous battre contre l’emprise de la
religion sur le peuple crédule et naïf !
-
Ni Dieu, ni maître ! »
crie Green.
-
Ouais, c’est ça, ni Dieu, ni maître ! dit Popaul
-
D’accord, alors je les commence comment, nos réunions?
-
Je ne sais pas ! Sois créatif !
-
C’est bien toi, ça, Max ! D’abord, tu me reprends
mais tu n’as aucune proposition à faire…
-
Commence comme tu veux, je ne sais pas : Libre citoyen ?
Amis libertaires ? Communards ? Amis anar’ ?
-
Amis, amies ?
propose Popaul
- Ah oui moi j’aime bien « amies amis » !
Ça fait américain ! Jusqu’où irons nous,
amies amis ? Yes ! à Miami ! réplique
Green
-
Arrête de déconner ou je fais voter directement ton
éviction du mouvement ! Trêve de plaisanterie, on
commence. Je vais faire l’appel.
-
Mais pourquoi tu veux faire l’appel, nous ne sommes que quatre ?
dis-je
- Il faut compter nos voix, pour ensuite mesurer l’évolution
de notre mouvement !
- Nous
partîmes quatre ; mais par un prompt renfort, Nous nous vîmes
trois mille en arrivant au port …
-
Merci Popaul pour la digression littéraire. D’ailleurs,
je commence l’appel par toi, Popaul ?
-
Présent.
-
Max ?
-
Ben oui je suis là, je suis juste en face de toi.
-
Green ?
-
Tu ne peux pas m’appeler Hervé pour une fois ?
-
L’utilisation de pseudonyme est importante pour garantir l’anonymat
de nos opérations.
-
Je suis d’accord avec toi mais regarde : Toi, on t’appelle
Jyssé parce que tu t’appelles Jean-Christophe. Ce n’est
pas un pseudonyme mais un diminutif. Maxence, on l’appelle Max et
Jean-Paul, tout le monde l’appelle tout le temps Popaul. Pour
préserver l’anonymat de Popaul, il vaudrait même mieux
l’appeler Jean-Paul, personne ne le reconnaitrait. Mais moi, j’en
ai marre qu’on m’appelle Green. On me surnomme comme ça
depuis la 5ème,
c’est bon je suis plus un gosse, moi, merde, j’ai 17 ans.
-
Hervé ? Pourquoi on t’appelle tout le temps Green ?
-
Tu ne sais pas ? - dis-je. En cinquième en cours
d’Histoire, Hervé a éternué de manière
très bruyante. Il s’est caché la tête sous la
table et quand il s’est relevé, ses cheveux étaient
tout verts. On était mort de rire. On l’appelle Green depuis
ce jour.
-
Ouais, c’est bon, on ne pourrait pas oublier un peu cette histoire ?
-
On me demande, je
raconte, moi, c’est tout.
-
Si vous me le
permettez, je voudrais revenir à l’ordre du jour. »
Reprend Jyssé « D’abord, je voudrais remercier
publiquement le Père Philippe qui nous prête
gracieusement la salle à manger du Presbytère pour
faire nos réunions.
-
A bas les curetons !!!
-
Max, avec une telle attitude nous n’avancerons jamais.
-
Oui, mais nous, nous sommes des anarchistes ! On pisse à
la raie de tous les religieux du monde !
-
C’est bien vrai, ça ! disent en chœurs Popaul et
Green.
-
Brûlons l’Eglise !
-
Max, Popaul et Green et si le Père Philippe ne nous prêtait
pas le presbytère, où ferions-nous nos réunions ?
Chez vous ?
-
Ben moi, je veux bien qu’on les fasse chez moi, les réunions. »
Dit Popaul.
-
Oh non Popaul ! Tout le monde n’a pas une mobylette comme toi…
-
Je m’excuse, Max, Ce n’est pas une mobylette, c’est un 51
Black !
-
Au temps pour moi. Tout le monde ne roule pas en 51 Black ! Moi,
je suis à vélo ! Et je ne vais pas me taper les
quinze bornes pour aller faire des réunions à
Soullans ! Surtout la nuit ! Je n’ai pas envie de me
perdre dans ta cambrousse ou de me faire renverser par une vache !
-
Et chez toi, Green ?
-
Moi, je veux bien mais c’est ma mère qui ne veut pas !
-
Moi pareil. Et toi Jyssé ?
-
Nous en avons déjà parlé ! Ma mater ne veut
pas que Max vienne à la maison. Elle dit qu’il a une
mauvaise influence sur moi !
-
Putain, elle est vraiment trop reloud ta matouze !
-
Parle bien de ma mère, toi ! Elle est peut-être
conne, mais c’est ma mère ! Lundi, quand nous avons
parlé de nous
réunir, nous n’avons trouvé aucun lieu. C’est
pourquoi, j’ai demandé au Père Philippe s’il
voulait bien nous prêter le presbytère.
-
Tu lui as dit que c’était pour une réunion
d’anarchistes anonymes ?
-
T’es con ! Bien sûr que non ! Je lui ai dit que
nous voulions préparer un spectacle pour la messe de Noël !
-
Et il t’a cru ?
-
Forcément, j’ai été enfant de chœur jusqu’à
mes quatorze ans. Alors merci beaucoup le Père Philippe pour
le prêt de la salle à manger du presbytère…
-
Moi, je voudrais vous prévenir tout de suite. » Dit
Green « Si on fait partie du spectacle de la messe de
minuit, je ne veux pas jouer l’âne.
-
Mais pourquoi tu parles de ça ! »
Dit Jyssé légèrement agacé « On
n’est pas là pour faire une crèche. Nous sommes
réunis pour monter un coup d’éclat anarchiste qui
fera parler de notre mouvement dans toute la Vendée. Ou au
moins jusqu’à l’Epoid ou à Sallertaine..
-
Et même à Bouin ! Ouais, on va montrer à tous
ces bouzeux la force de notre rébellion ! On va faire
péter les culs-terreux !
-
Attention, Maxence. Mon père est agriculteur. Je n’aimerai
pas que tu l’insultes ! dit Popaul