Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Zone d'expérimentation
4 octobre 2009

Engrenages, par Lila lULLABY

<p>Antagonismes complémentaires </p>

engrenages

Ludmilla, dite Lulu, pour faire plus court et plus gentil, tient son prénom de sa mère communiste tendance internationale, qui aurait aimé la voir devenir danseuse du Bolchoï, évidemment.
Pierre porte le prénom de son père qui  en a hérité lui-même du grand-père qui le tenait avant lui de son propre père, l’arrière. Si d’aventure il devient père à son tour, prénommera probablement ses enfants Pierrot ou Pierrette, pour afficher sa modernité vieillotte.

C’est Soledad, spécialiste en danses latino qui a additionné leurs différences. Sur une musique à quatre temps et sans une explication, elle a projeté Ludmilla dans les bras embarrassés de Pierre.
Lalalalala, gauchement, il lui a pris la taille,
Lalalalala, l’a poussée du pied droit,
Lala,  elle est partie du gauche
Lala,  ont essayé d’avancer à deux…

Après une envolée de carrière dans les entrechats,  comme professeur de danse à l’Amicale laïque et sportive de R. la ville de banlieue où elle a grandi, Lulu est devenue écrivain public. Elle tient épisodiquement sa plume à la disposition des gens de R. dans une salle aimablement mise à sa disposition par la mairie.
Pierre occupe un des trois guichets du bureau de poste de Notre Dame des Landes. Il nourrit l’espoir de devenir receveur quand l’actuel titulaire aura pris sa retraite.

Soledad les a immédiatement arrêtés.
Elle a placé la main droite de Pierre sous l’omoplate gauche de Lulu et posé la main gauche de Lulu sur l’épaule droite de Pierre. Elle a rassemblé à hauteur de leurs yeux leurs mains inoccupées, instantanément devenues moites de se rencontrer ainsi, puis elle a soufflé à Pierre de se sentir Torero et à Ludmilla d’incarner sa cape provocante.
Lalalalala, Lulu est une liane,
Lalalalala,  ne se laisse pas tresser,
Lala, d’une pression du bras, Pierre, à lui la ramène,
Lala, du pas suivant, elle s’éloigne …

Avec ses émoluments de postier, Pierre vient d’acquérir une petite maison au jardinet propret dont le gazon ne doit jamais dépasser les trois centimètres sous peine de tondeuse qu’il pousse un dimanche matin sur deux en été. De la fenêtre de sa chambre, à l’étage, il domine le jardin identique de la maison voisine et peut juger ainsi chaque matin du meilleur entretien du sien.
Pour un franc symbolique, Lulu qui rêve de transsibérien, a pris possession d’un vieux wagon remisé sur une voie désaffectée  de la gare de marchandises où ne s’arrête plus un train. Entre deux ronds de jambes, elle l’a transformé en décor pour film en technicolor. De ses fenêtres, elle regarde pousser au delà de son habitat, la végétation que plus personne ne songe à arrêter. De jour comme de nuit, les trains rythment sa vie et elle peut vous dire si la période est aux supplémentaires ou si la grève annoncée a été bien suivie.

Il ne faut rater aucune des leçons de la rue Sébastopol si on veut progresser. Pierre a souligné d’un trait rouge tous les jeudis de son calendrier et Ludmilla a découvert l’assiduité.
La la la la la ont appris la salsa,
La la la la la sur des boléros,
La la la la la étudié la rumba,
La la la la la dansé le cha cha cha.

Pierre aime la musique. Il la préfère grande. Il l’écoute sur sa chaîne de qualité dans une pièce de sa maison toute consacrée à ce plaisir. Il a récemment fait venir d’Allemagne des enceintes encore plus grosses que les précédentes pour mieux percevoir les doux craquements de ses disques vinyl et ajoute-t-il, « entrevoir l’abîme du son ». Comme il aimerait rencontrer une femme pour partager cette émotion, Pierre s’est inscrit au cours de danses de salon de la rue Sébastopol.

Pour Lulu, la musique n’est qu’un prétexte à accompagner le geste ou la voix. Lulu aime chanter : tout et n’importe quoi, comme les musiques de supermarché ou celles des top cinquante. Il lui suffit de les entendre en boucle, comme c’est souvent proposé, pour les adopter et les fredonner.
Elle aime les chansons qui parlent et les musiques qui dansent et parce que danser lui manque, elle s’est inscrite au cours de danses latino du jeudi

On ne danse pas que latino au cours de Soledad .
Pour des univers éloignés, toute nouvelle danse est une proposition à se rapprocher.
Les jeudis redeviennent ceux de l’enfance et des semaines à en espérer quatre.

Pour valser, Lulu est arrivée telle qu’à la cour d’Autriche, en robe d’impératrice.
Sans hésiter, Pierre l’a enlacée pour la faire tourner à l’endroit comme à l’envers.
Et le jeudi suivant, casquette sur la tête et cigarette au bec, il a posé ses mains sur les fesses d’une Lulu énamourée, pour l’entraîner dans sa java de mauvais p’tit gars.

Il nous faut souvent des musiques à plusieurs temps pour accorder nos pas de deux.

Publicité
Commentaires
G
Je trouve ce texte magnifique et très poétique.<br /> Une des images qui m'avait claqué l'œil et l'oreille était la modernité vieillotte de la musique.<br /> Et puis en lisant les commentaires j'ai compris que c'était une oxymore...<br /> Wouah ! Me suis-je dit ! Quand même ce site de collecte de texte est quand même un joli recueil d'exercices.<br /> Avant hier, je ne connaissais cette oxymore des lèvres ni des dents et je remarque qu'ils sont à chaque fois de très jolies images...<br /> "L'innocente culpabilité", "Endémisme cosmopolite" chez d'autres et ici "la modernité vieillotte" , tout ceci me plait bien<br /> Pour revenir sur ce texte que je trouve très doux, il ya aussi de belles images. J'ai été particulièrement réceptif :<br /> "Lalalalala, Lulu est une liane,<br /> Lalalalala, ne se laisse pas tresser,"<br /> ou encore celle-ci :<br /> "Pour des univers éloignés, toute nouvelle danse est une proposition à se rapprocher."<br /> ou encore la phrase suivante sur le désir du retour des semaines aux 4 jeudis.<br /> Oui, ce texte m'a beaucoup plu.<br /> Plusieurs je l'ai relu et à chaque fois je me suis surpris à chantonner.<br /> Il y a pourtant un élément qui attise ma curiosité !<br /> Alors que tout est nommé, seule la commune de Lulu n'a qu'une initiale.<br /> cette touche de mystère ajoute beaucoup à l'ambiance je trouve, l'ambiance d'une ville qui préfère rester anonyme
D
Super, c'est le titre que j'ai eu en tête, mais avec des doutes. Mais c'est en effet la construction de la chanson que j'ai retenue.<br /> Bonne continuation Lila.
L
mucienne ça veut rien dire MDR c'est musicienne qu'il faut lire bien sûr!
L
...ça me gêne, ça me gêne..." <br /> Pour décrire le paso doble, j'en ai chanté un et compté mes lala puis tenté d'écrire des mots qui danseraient à la fois avec les notes et la personnalité des apprentis-danseurs.<br /> Pour la dernière partie, je n'ai su chanter ni boléro, ni rumba, ni salsa ou chachacha. <br /> Merci pour vos commentaires qui illuminent ce que j'écris à la lueur d'une bougie.<br /> Jimmy a vu juste: pour fonds musical, j'avais en tête la très belle "Valse à Mille Temps" de Jacques Brel.
D
J'aime.<br /> J'y vois (ou plutôt) j'y entend une chanson comme au temps de Piaf et du music hall, avec un ancrage contemporain mais qui s'en échappe sans cesse, un peu comme un air en boucle, un peu comme une valse...Un peu comme une fuite musicale...
Derniers commentaires
Publicité
Publicité