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Zone d'expérimentation
14 août 2009

Testamants, par Lila LULLABY

<p>Rien je n’ai rien à transmettre et encore moins à quelqu’un</p>

Cartier_Bresson_Testamants

Rien, je n’ai rien à transmettre et encore moins à quelqu’un : je n’ai rien ni personne.
Fille unique, femme de même, sans enfant et orpheline : de quoi faire pleurer dans les chaumières.
A l’heure des comptes, je n’ai ni bien, ni renommée, ni œuvre à transmettre mais je ne peux quitter cette  vie sans redonner à chacun ce qu’il m’a offert d’émotions secrètes.   

à Claude, la douceur de ses boucles blondes que je sens couler entre mes doigts sans parvenir à les retenir
à Alex, ses performances de marathonien, l’odeur enivrante de son corps dans l’effort
à Roland, ses longs silences aux rares mots doux chuchotés à la naissance du cou
à Emilien, son toucher d’onychophage au bout des doigts arrondis
à Simon, le bleu si profond de ses yeux où plonger est une façon de se perdre et de ne plus pouvoir dire « non »
à Sylvestre, l’audace de ses mains sous la mousse du bain
à Edouard, sa bouche gourmande qui laisse à la peau ces traces fruitées qui font sourire au miroir, le lendemain au lever
à Renaud, ses tendresses volées sur autoroutes grâce à un modèle d’automobile à boîte de  vitesse automatique

à Bertrand, sa main grande ou je cache la mienne petite, quand on se promène
à Alain, le galbe parfait de sa cuisse sous le short qui court devant moi
à Ismaël, le soyeux de sa bouche pulpeuse qui ne se lasse jamais des baisers
à Stéphane, sa voix brûlante et ses mots qui ont tout osé
à Eric, sa peau douce et lisse, couleur de chocolat
à Rodrigue, la découverte si étonnante des vingt ans qui nous séparent et cette question éternellement posée : Comment aborder en terre étrangère ?

à Jean, ses caresses d’inconnu dans une salle obscure à peine désertée
à Olivier, la tiédeur de son ventre où nicher mes fesses avant le sommeil
à Ugo, sa joie communicative à nos jeux amoureux retrouvés
à Igor, sa position extrêmement acrobatique du lotus inversé ; C’est si amusant de l’écouter discourir sur l’avantage du sexe tantrique, nu, la tête en bas !
à Raymond, l’idée de traverser la mer pour s’aimer sur le sable chaud

ont rendu ma vie joyeuse et belles mes heures…

A tous ceux qui ne m’ont pas laissé leur prénom en souvenir, je lègue les embrassades les plus oubliées, celles qui se perdent si vite dans la vie trop partagée, celles qu’on ne fait plus, à l’ombre d’un tilleul l’été ou sur un banc public, quand une main se glisse comme elle veut là on ne porte rien, ces baisers qui font chavirer et détournent les regards envieux des passants honnêtes.

A ceux que je ne croiserai jamais, je lègue ce qui peut encore servir de mon corps sous réserve que ce soit encore bon à transplanter dans un autre pour lui faire apprécier chaque jour comme si c’était ce dernier. Et là, je signe.

Illustration : Henri Cartier-Bresson, 1969

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Commentaires
D
Ha si, encore, parce que les intentions , notées ou en guillemets sont une bonne chose.<br /> <br /> D'ailleurs, on en discutait tantôt, je crois qu'il n'est pas tant question d'une note d'intention, qui précèderait l'écriture, qu'une analyse du processus d'écriture.<br /> Mais bon, le terme me plaît.<br /> Et il est clair que le public rend les créations vivantes.
D
Qu'ajouter après Gwen qui ne fasse redite ? Que 3skel m'a précédé ...<br /> <br /> J'aime la tendresse qui se dégage de ce texte, tendresse pure, sans regret, sans nostalgie, juste le doux souvenirs de moments volés, de moments privés.<br /> J'aime le jeu des acrostiches qui m'aura fait songer, avant de le découvrir, comme certains prénoms pouvaient avoir un charme désuet.<br /> J'aime cette écriture douce et fluide, la sentir couler sans effort de prénoms en prénoms pour faire de chaque un être unique.<br /> J'aime les discrètes références à Brassens qui en matière d'amours savait y faire pour les offrir simplement à l'oreille.<br /> <br /> Et Gwen dit juste en regrettant que la progression initiée par les acrostiches ne se traduise pas dans le texte, la rendant pour le coup un peu gratuite. A bien y songer, je souris de me dire que ce jeu n'aurait été ajouté qu'a posteriori, pour rendre un effet supplémentaire.<br /> N'importe.<br /> <br /> Un bien joli testament sous lequel j'imagine sans effort une vieille femme sereine, assoupie dans un rocking chair, énonçant d'une voix restée claire à un petit jeune homme de sa connaissance, ses lèvres pâles dessinées d'un sourire<br /> <br /> Par contre, 3skel, dans la mesure où le premier et le dernier acrostiches sont des verbes, je pense qu'on peut facilement en déduire que le second également.
3
Trop de textes, pas assez de temps et des commentaires à faire non fait ... <br /> Tout comme Gwen, j'aime beaucoup les accrostiches, même si j'avoue avoir tiqué sur baiser entre caresser et jouir, du coup, je me suis demandée s'il s'agissait d'un baiser ou de l'acte de baiser ... puis j'avoue, ça me turlupine encore assez parce qu'à la relecture, il pourrait bien s'agir de l'un comme de l'autre.<br /> Damn, quelle mémoire tout de même pour se souvenir du nom de tous ces amants !<br /> Un joli texte Lila, avec un joli clin d'oeil pour le don d'organes.
L
On ne le dit pas assez en effet: merci à ceux qui écrivent des commentaires...ils font avancer et incitent pour le moins à réfléchir a posteriori à ce qu'on a écrit. Je n'ai pas du tout pensé à cette "progression" mais je comprends que vous l'attendiez...Mon "intention" après coup m'apparait: ces amants qui passent et défilent ne laissent derrière eux que de fugitives émotions visuelles, auditives ou tactiles, des parfums et des rires dont va s'enrichir et se nourrir le plaisir de la solitaire.
G
Ce qui devait arriver, arriva et ce n'est pas faute d'avoir prévenu l'administrateur suprême...<br /> Les textes se succèdent à un rythme effréné, et les commentaires-appréciations des lecteurs manquent à la pelle et à l'appel.<br /> J'ai beaucoup aimé ce texte avec ses acrostiches.<br /> La partie descriptions des amants est très tendre. trop tendre ? oui, peut-être car si j'ai une critique à faire elle est dans la progression. Si les acrostiches partent de la tendresse à l'extase, les descriptions des amants ne sont que dans le registre de la tendresse (avec une petite pointe d'humour et deux touches de poésie, il faut le souligner). Les amants auraient mérités eu aussi un crescendo, à mon goût.<br /> La dernière partie est ma partie préférée. En quelques lignes la conclusion est très forte.<br /> Un très joli texte !
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