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Zone d'expérimentation
30 octobre 2009

Passe, passe, passera, par Lila LULLABY

chaperon_Mordillo


«- Dis grand-mère, où est parti grand-père quand on l’a emporté dans la boîte ?
- Une grande flamme l’a emmené, ses cendres se sont envolées dans le vent.
- Oui, ça je le sais, mais Lui, insiste l’enfant, où est-il maintenant ? Je l’entends le soir finir de me raconter une histoire et quitter ma chambre en laissant la petite lumière allumée »
Grand-mère ne répond pas. Une larme descend la rivière creusée sur son visage.
Comment expliquer à une petite fille que grand-père n’est plus mais qu’il existe de lui plus de mille images dans les souvenirs de ceux qui l’ont aimé ?
Dans un soupir, elle murmure : «Je ne sais pas où on va quand on a disparu »

Alors l’enfant décide d’aller interroger ceux qui - elle le sait- ont un jour disparu et elle entre dans la forêt.
« Loup, y’es-tu ?
- Je coiffe mes moustaches »
Elle le trouve allongé sur l’herbe tendre, visiblement repu, absorbé à se lisser le poil.
« Toi qui as coulé si vite au fond de la rivière,  dis-moi où on va quand on a disparu  »
Le loup se redresse intéressé : ce n’est pas si souvent qu’on lui pose une question ! Il prend un air réfléchi, ferme les yeux et dit :
« Quand la rivière a englouti mon ventre plein de cailloux, j’ai bien cru ma dernière heure arrivée puis je me suis rappelé que c’était jour de marché, que trois agneaux appétissants allaient être seuls dans leur maison et que je devais courir vite au moulin si je voulais montrer patte blanche sous leur porte pour qu’ils m’ouvrent.
Je me souviens encore du coup de corne de leur mère, la chèvre, qui m’a envoyé valser à nouveau dans la rivière et ensuite d’une forte odeur de chair fraîche, multipliée par sept à la nuit tombée dans les bois. Le petit Poucet cherchait sa route en  entraînant ses frères mais tu le sais toi, que je ne les ai pas mangés, précise-t-il en ouvrant largement les yeux, qu’il a bien plus grands que ceux de Mère-Grand.
Puis il les referme pour parler de  trois petits cochons …
La fillette voit bien qu’avec le loup, elle n’en saura pas davantage sur l’endroit où l’on est quand on a disparu. Elle le laisse à son auto-analyse et s’esquive sur la pointe des pieds.

Elle s’enfonce plus profond dans la forêt et arrive bientôt aux ruines d’une maisonnette. Le toit de pain d’épices repose encore sur quatre piliers de sucre d’orge mais des murs, il ne reste rien. La sorcière est occupée à fondre des sucres pour retaper son logis. Elle marmonne en touillant dans ses marmites et ne lève même pas les yeux pour voir qui s’adresse à elle.
« Toi qui es partie dans la chaleur des flammes, dis-moi où on va quand on a disparu »
La sorcière essaie un sourire, presque heureuse de trouver une oreille qui veut bien l’écouter. « Quand Gretel a refermé la porte du four sur moi, je me suis retrouvée assise, filant la laine dans la chambre sombre d’un vieux château. Une jeune fille, curieuse comme toi, est entrée. Je n’ai pas eu le temps de la prévenir du danger, qu’elle s’était déjà piquée à la pointe effilée de mon fuseau et endormie. Je n’avais plus rien à faire dans cette histoire. Je me suis mise à voyager, vers l’Est toujours. Je me déplaçais dans un mortier, l’asticotais du pilon et du balai en effaçais la trace. C’était pratique et très écologique. Je suis arrivée à une petite maison sur pattes de poulet perchée, qui virait de ci de là, au gré du vent. Une fois entrée, je me suis aperçue que j’en occupais toute la place : je devais rudement avoir grossi à cause de toutes les sucreries !
On m’appelait Baba Yaga. Je n’étais ni trop bonne, ni trop mauvaise. J’aidais les voyageurs perdus à retrouver leur chemin après les avoir soumis à des épreuves difficiles pour leur apprendre à surmonter les embûches de la vie. J’étais « coach » comme ils disent dans Psysorcellerie  Magazine.
« C’est tout ce que je peux te dire sur les endroits où l'on se cache quand on a disparu.
Lance cette pelote devant tes pieds, elle t’aidera à retrouver la route qui mène chez ta grand-mère »

Le soir tombait. Il était temps de suivre le fil. La fillette sortit ainsi de la forêt.
Maintenant, la nuit l’enveloppait. Elle marchait au milieu d’une longue route droite. De chaque côté, la ligne plus sombre des arbres l’avertissait des fossés. Loin devant, les deux rangées d’arbres semblaient se rejoindre pour lui montrer le but à atteindre. Quand ses pas furent plus assurés et ses yeux habitués à l’obscurité, elle marcha la tête en l’air.  La  voie lactée traçait une parallèle à la route parmi les étoiles. Certaines étoiles scintillaient plus que d’autres, comme animées de vie. Une petite étoile encore vacillante montait à l’horizon. Elle la choisit pour être la nouvelle maison de son grand-père.

En arrivant chez sa  grand-mère, elle la trouva tournant des confitures. Une délicieuse odeur de framboises montait de la casserole en cuivre.
« Je sais où est grand-père, dit-elle : il voyage le soir dans les histoires qu’il m’a racontées mais pourquoi laisse-t-il toujours la lumière allumée ?
-Pour qu’à ton tour, tu  racontes  ses histoires.
-Grand-mère, j’ai peur d’oublier ses mots !
-Tu sauras bien en inventer que d’autres, après toi, rediront à leur tour»



Illustration par Guillermo Mordillo

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Commentaires
D
Comme Gwen, j'aime ce "crossover" entre les contes, cette façon, en en rapprochant les protagonistes, de les inscrire dans un ensemble plus vaste, aux règles identiques, aux acteurs jouant mille rôles différents sous leur même costume.<br /> <br /> Néanmoins, un petit rien me laisse un goût d'inachevé. La Psychanalyse des contes de fées insiste sur la valeur de la trinité dans un conte, trois frères, trois petits cochons, trois agneaux, etc. De sorte que l'histoire m'aurait semblé plus ... complète, si la petite fille avait croisé le chemin d'un troisième protagoniste. Je conviens que l'énoncé laissait peu de choix quant au personnage, grand mère ou enfant, loup et sorcière ayant été abordé, comme je comprends que la sensibilité de ce texte s'articule autour de la question de la petite fille (et un de moins) à sa grand mère (et deux de moins).<br /> En outre, je me dis qu'une troisième partie aurait rendu moins ... rapide la jolie conclusion de la petite fille suite à son périple. Mais vous savez comme je ne me satisfais de rien ...<br /> <br /> Quoi qu'il en soit, je goûte véritablement l'humour subtil de ces lignes, lequel rend loup et sorcière attachant avec leurs travers et leurs introspections.<br /> De la même manière, et quelles que soient mes remarques précédentes, je tiens à souligner la qualité de l'écriture, notamment le passage du retour, dans lequel la description de la route et des arbres, puis le lever de tête vers les étoiles sont d'un naturel des plus sympathiques.<br /> <br /> En résulte une jolie réponse au thème proposé, riche et originale dans son abord, et une nouvelle confirmation du plaisir de lire Lila LULLABY.
G
Après quelques absences, je reprend mon clavier pour commenter les textes de la zone d'expérimentation,<br /> Un coup de cœur sur ce cross-over (comme disent les scénaristes américains) de contes. J'ai ri en retrouvant la sorcière russe « Baba Yaga ». En effet délire que deux textes à suivre prennent un même protagoniste.<br /> J'ai trouvé que ce texte très touchant réussissait à être drôle avec tous ces clins d'œil, J'ai bein aimé le magazine « psysorcellerie magazine »,<br /> Un très beau texte
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