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Zone d'expérimentation
29 juillet 2009

L'exécution testamentaire 3/3, par d'autres

The_Lawyer_by_ValentinaKallias


    - Bon. Permettez que je vous fasse lecture du présent acte, reprend enfin l’exécuteur, nous économiserons nos disponibilités respectives. Je, soussigné, Maël Goudevann, trente-neuf ans, né de Madame Micheline Salpestre et de Monsieur Romuald Goudevann, vous donc, précise le notaire, nomme par la présente Maître Rougueaud, c’est moi, se désigne l’intéressé, exécuteur testamentaire, afin de garantir le respect de mes dernières volontés et la bonne disposition de mes biens.
    - Pardon ?! l’interrompt, éberlué, Maël. Mais … je n’ai jamais écrit de testament.
    - Oui, ça se sent un peu dans le style laborieux, lui rétorque le lecteur, mais laissez-moi finir, voulez-vous ?
    - Mais non, enfin ! s’indigne son client. Quand je vous dis que je n’ai jamais écrit de testament, je veux dire que je n’ai rien prévu, aucun acte légal quant à ce qu’il adviendra de moi après ma mort. Et d’autant moins maintenant que Tiaré n’est plus là.

    Une subtile panique entreprend de tracer son chemin dans les synapses de Maël. Non, en effet, il n’a jamais écrit de testament, c’est le genre de chose dont on se souvient ; non, il n’a encore jamais eu à faire à cet inquiétant notaire ; et dans tous les cas, c’est bien la dernière personne qu’il aurait désigné pour être son exécuteur testamentaire. Le malaise qu’il ressent depuis son arrivée a pris la tournure de l’angoisse ressentie dans un rêve dont on ne parvient à s’extraire.

    - Approchez. Là, lui montre l’officier ministériel, la signature. C’est la vôtre ?
    - Je … oui … en effet, doit admettre l’ancien fiancé, mais on aura pu imiter ma signature, objecte-t-il tout de même.
    - Sachez jeune homme que nos actes sont authentifiés, expertisés et garantis inviolables par les procédés les plus pointus qui soient. Peut-être que chez un autre on aurait pu falsifier votre paraphe, mais ici c’est impossible.
    - Impossible ?
    - Impossible.
    - Je …

    A nouveau, cette sale impression d’être pris au piège d’un méchant rêve, impression accrue par la couleur rouille de la signature, la sienne, sans aucun doute, tellement alambiquée, tellement torturée. Le plus effrayant reste pourtant l’extraordinaire clarté de ce qu’il voudrait être un cauchemar, trop précis, trop net pour un songe.

    - Je continue, donc, conclut le notaire.
    - Je … faites, concède finalement Maël, en désespoir de cause.
    - Je, gnagnagna, nomme, gnagnagna, point. Donc. Ainsi, déclare vouloir être enterré aux côté de la seule femme que j’ai jamais aimé, Tiaré Tepoha’ari, afin que dans la mort nous puissions nous unir, faute de l’avoir pu dans la vie. Mignon, commente l’homme terne. Par ailleurs, dans la mesure où mon corps ou mon esprit se défendraient de ce traitement, j’autorise le susnommé Maître Rougueaud à tout mettre en œuvre pour appliquer cette volonté.

    La dernière phrase terrorise le fiancé de Tiaré. L’idée que Maître Rougueaud puisse tout mettre en œuvre paraît si menaçante, alors qu’il est pour ainsi dire enfermé avec lui, qu’il trouve enfin le courage de se dresser sur ses jambes et de courir vers la porte.
    Peu importe qui a écrit cette folie, peu importe qu’il soit encore assez vivant pour que l’acte ne soit pas exécutable, peu importe qu’il ait l’impression de cauchemarder éveillé, il doit quitter ce bureau, il doit mettre le plus de distance possible avec cet homme inquiétant, il doit échapper à cette atmosphère mortifère pour gagner la sécurité et la vie de la rue, reprendre pied avec la réalité. De penser que son corps et son esprit sont présentement en train de se défendre de ce traitement, confortant les prérogatives du sinistre notaire, ne l’aiguillonne que plus.
    Il passe la porte en coup de vent, traverse la réception sans jeter un regard à la secrétaire, franchit le seuil d’un bond et s’arrête net. Au lieu du bitume rassurant de la rue, ses pieds foulent le parquet poussiéreux de la réception.
    La secrétaire, toujours aussi figée, le dévisage depuis son bureau.

    - Bûgez pas, le prévient-elle, oen wâ s’cupper d’vûs.

    Maël se retourne. Devant lui, la porte vers la rue, aux vitres opaques de saleté. Des tremblements le saisissent alors qu’il pose une nouvelle fois la main sur la poignée. Des tremblements le font tituber alors qu’il tourne le bouton. Des tremblements le terrassent alors que la sortie s’ouvre désespérément sur la réception.
    La secrétaire, plus immobile que jamais, le vrille de ses yeux glacés.

    - Bûgez pas, qu’oen vûs dit, insiste-t-elle, oen s’cuppe d’vûs tûd suite.

    L’esprit de Maël préfère couper le disjoncteur.

    Lorsqu’il revient à lui, il est assis face au notaire, sous le regard trop vivant du trophée pourrissant. Le petit homme le contemple d’un air las.

    - Vous ne vous facilitez pas la tâche, vous savez, soupire-t-il. Je suis là pour exécuter, que vous le vouliez ou non, vous m’avez désigné pour ça. Aucune réaction stupide ne changera la situation. Mais je suppose que vous ne souhaitez pas que je poursuive la lecture, me trompé-je ?

    Maël est tétanisé. Toute sa volonté est bandée pour actionner ses muscles, sauter sur le menaçant petit homme dont il viendrait facilement à bout et le neutraliser avant de trouver un moyen de sortir de ce cauchemar. Pourtant son corps ne répond pas. Il pourrait être entravé qu’il aurait la même liberté de mouvement.
    Le notaire contourne enfin son bureau pour s’approcher du fauteuil d’un pas solennel. Il s’appuie sur les accoudoirs, inondant Maël d’une haleine de dent cariée, métallique et putride.

    - Tout ceci me désole au plus haut point, lui confie le visage qui le surplombe. L’absence de coopération rend tout plus compliqué, plus désagréable, sans pour autant changer quoi que ce soit. Ce serait si simple d’accepter, de se laisser faire, tranquillement, de se détendre. C’est comme pour le dentiste. Plus on est tendu et plus c’est douloureux.
    - VOUS NE POUVEZ PAS ! trouve enfin la force de hurler Maël, JE NE SUIS PAS MORT ! LE TESTAMENT NE PEUT ÊTRE APPLIQUE !!!!
    - Ho,
    ça, sourit l’exécuteur. Nous sommes justement là pour ça


Illustration : The Lawyer, par ValentinaKallias, sur DeviantArt

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Commentaires
G
alors c'est dommage que les descriptions ne fassent pas naître l'inquiétude plus que ça !<br /> Le notaire n'est pas si inquiétant que ça sauf avec sa dernière phrase mais il ne m'avait jamais fait peur avant (comme sa secrétaire)<br /> je m'étais dit que la tête de cerf en décomposition était étrange dans un office notarial mais guère plus.
D
Ouais bon bien alors reprenons.<br /> <br /> Précipitation ? Non. Pas après avoir retravaillé le texte. Incapacité à traduire ce que j'avais en tête ? Oui, manifestement.<br /> <br /> Maël se reproche la mort de Tiaré, s'en veut, cherche l'expiration, se faisant juge, juré et bourreau. Et ça fait cinq ans que ça dure. Cinq ans que ça le taraude, cinq ans que ça prend des proportions dramatiques à chaque date anniversaire.<br /> De sorte que son souhait de payer finit par être entendu par delà le Voile.<br /> Il a un problème avec les testaments, suite à la guerre juridique avec son ancienne belle famille ? Il sera question de testament.<br /> Il voudrait n'avoir jamais quitté Tiaré, il la rejoindra par-delà les frontières de la vie et de la mort.<br /> Il s'en veut assez pour souffrir dans un réflexe judéo-chrétien de contrition, qu'il s'y condamne.<br /> <br /> Ainsi avons-nous les éléments pour la création d'un enfer personnel tel que pratiqué par Clive Barker dans ses Livres de sang, voire dans Hellraiser, cynobites compris.<br /> Il n'a pas écrit le testament, son inconscient s'en est chargé. Il n'a pas mandé le notaire, il a répondu à son appel silencieux. Il s'est condamné sans le savoir, il ne pourra s'échapper de l'office.<br /> <br /> Voilà ce qui ne transparaît pas dans le texte. Je pensais l'avoir un peu éclairci après la première lecture de 3skel, force est de constater que non ...
3
Je suis d'accord avec toi Gwen. Quand d'autres m'a lu le texte, moi non plus je n'ai pas perçu la fuite. Nous en avons discuté, et après une réécriture, et une nouvelle lecture ici, je perçois, un peu, mieux le fait qu'il ne puisse pas quitter l'office malgré sa volonté, le fait de sans cesse se retrouver dans le bureau de la secrétaire au lieu de sortir dans la rue.<br /> Je le perçois un peu mieux donc, mais seulement parce que je connaissais l'intention de l'auteur ... Cela reste confus.
G
J’avoue, je suis resté un peu sur ma faim.<br /> <br /> Commençons par ce qui m’a plu :<br /> <br /> une fois de plus, d’autres, plante un décors palpable. On y est carrément. la poussière nous étouffe.<br /> <br /> L’écriture est rythmée, c’est bien tourné.<br /> <br /> Quand nous attendons avec Maël, le notaire dans le vestibule, nous avons nous aussi le tournis créer par la spirale des souvenirs et des regrets.<br /> <br /> J’aime aussi le décalage qui se crée entre les souvenirs de Maël, ce deuil non digéré et le sujet de la rencontre avec le notaire.<br /> <br /> Ici encore le notaire et son office sont extrêmement bien décrits. Toujours cette atmosphère grisâtre et poussiéreuse.<br /> <br /> <br /> <br /> Par contre, la fin de l’histoire me semble un peu précipitée<br /> <br /> J’aurais aimé en connaître d’avantage sur le testament écrit, comme une échéance par exemple. Pourquoi c’est aujourd’hui que le notaire se manifeste.<br /> <br /> La non-fuite me paraît saugrenue<br /> <br /> personnellement je n’ai pas compris ce qui l’empêchait de fuir<br /> <br /> imaginant qu’il cauchemardait sa fuite, ou qu’une seconde arrivée avait un goût de « déjà vu » comme disent les américains<br /> <br /> mais le notaire reprend la parole là où il l’a laissé.<br /> <br /> et s je me doutais que son nom « d’exécuteur » n’était pas fortuit, je n’ai pas saisi ses réelles motivations.<br /> <br /> Après une entrée en matière aguichante la dernière partie me semble abrupte.<br /> <br /> D’autres prend son temps pour installer l’ambiance et l’atmosphère mais j’ai senti comme une légère précipitation à la conclusion.<br /> <br /> J’ai peut-être mal lu…<br /> <br /> <br /> <br /> J’aimerai beaucoup connaître le sentiment d’autres lecteurs et celui de d’autres aussi !
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