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Zone d'expérimentation
12 août 2009

Marâdi, par Gwen

 

jeune_foug_re

 


Ce matin, j'ai vu Marâdi, le serpent de mer onduler au fond du jardin.
« - Kurece, viens ! Kurece, viens t'assoir à côté de moi.
- Kurece, ma mère, regarde Mwa, le banian. Observe comme il est grand et puissant. Son tronc est majestueux et ses branches s'élèvent vers le ciel. De ses branches tombent des racines barbues. Elles cherchent à rejoindre la terre. Et quand elles y parviennent, elles deviennent solides comme la pierre et renforcent la vigueur de l'arbre et du tronc. Mwa peut te protéger de la pluie avec ses feuilles plus nombreuses que les fourmis dans la fourmilière. Et quand Karé, le soleil est haut dans le ciel en été, il te fait de l'ombre pour te laisser dormir en paix pendant ta sieste. Mwa est comme ta maison, solide et protecteur.

 

- Kurece, mon sang, écoute la douce mélodie de Pota. Le creek coule entre les cailloux ronds, polis par les eaux et le temps. Il chante doucement aujourd'hui. Ses eaux sont claires et cristallines. Quand il fait chaud, Pota reste frais, tu peux t'y glisser pour te rafraîchir ou boire son eau si tu as soif. C'est bon de se baigner dans son lit, plonger des cailloux dans les marmites profondes ou te laisser porter là où le creek se rétrécit et son courant devient plus fort. Sa voix se fait plus puissante quand vient la pluie. Sa transparence se trouble, il s'obscurcit et son cours se charge de terre. Il gronde et déborde quand le cyclone est là. Reste loin de lui, quand ça se produit car il t'emportera sans pitié, t'arrachant à ceux qui t'aiment et à la vie.

 

- Kurece, prolongement de mes racines, regarde le tarot. Regarde comme il est vert. Il pousse à côté de Pota et son pied puise la fraîcheur du cours d'eau. Sous la terre, pousse le tubercule qui calmera ta faim. Nrûnèe, sa feuille, n'est pas une feuille comme les autres. L'eau glisse dessus, Nrûnèe n'est jamais mouillée. Elle peut t'aider à rester sèche pendant les averses. Si tu coupes Nrûnée à sa base, la large feuille couvrira amplement ta tête et ton corps. Avec elle, tu peux aller à l'école ou aux champs sous la pluie sans être mouillée. Quand la pluie se sera lassée de tomber et d'arroser nos jardins, tu pourras te désaltérer de l'eau que tu auras recueillie au creux de Nrûnèe.

 

- Kurece, ma descendance, écoute Madrahé, le rouge-gorge. Il est en pleine conversation avec Mekecé, le collier blanc. Madrahé chante les fleurs d'hibiscus qui entoure la maison. Il chante Karé et ses rayons qui chauffent ses plumes. Il parle du ciel bleu et des nuages qui s'éloignent. Et quand tu ne l'entends plus, il boit le nectar caché au cœur de la fleur. Madrahé te réveillera le matin et sa chanson te mettra de bonne humeur pour toute la journée. Mekecé, lui, se cache dans les sous-bois à l'ombre du houp et du kaori. Quand tu iras dans la forêt pour ramasser du bois, Mekecé accompagnera ton chemin. Toi, tu ne le verras pas si tu n'es pas très attentive mais toujours tu l'entendras. Quand Karé, le soleil penchera vers l'horizon avant de laisser place à Bö, la lune, c'est Djiria, la perruche qui fera entendre son chant. Elle te préviendra de l'arrivée imminente de la nuit en chantant et dansant entre les branches du flamboyant. Regarde son plumage aux couleurs chatoyantes. Elle se fait belle pour Karé qui se couche,

 

- Kurece, ma petite fille, viens chercher avec moi Ngué-Xaré, la liane. Elle serpente    d'arbres en arbres, de branches en branches. Touche là, sens comme elle est noueuse, comme elle est fibreuse. La liane est souple et solide. Tous les jours tu t'en serviras. Si tu as besoin de maintenir serrées les bottes de pailles, Ngué-Xaré est là. Si tu veux attacher tes récoltes, tu chercheras Ngué-Xaré. Elle t'aidera dans tous tes travaux. Si elle semble incassable, elle a besoin de la fraîcheur et de l'humidité de la forêt pour pousser. Sans les arbres sur qui elle prend appuie, Ngué-Xaré n'est rien.

 

- Kurece, fille de ma fille, tu vois les fleurs rouges éclatantes du Pis-Pis. Ce sont les confiseries de Bâ, la roussette. Elle mange aussi les fruits de Mwa ou encore les mangues. Bâ sort quand vient la nuit et tu peux entendre son cri. Son vol est lourd et ses ailes frappent l'air du crépuscule avec un son étouffé et grave. Observe là comme elle a de l'allure. On dirait qu'elle est fière de survoler ce si beau pays, si vert, si calme. On dirait qu'elle connait les richesses qui y sont enfouies. Évidemment, Kurece, tout ça ne te paraît pas grand chose mais ce sont ces merveilles qui vont te rester. »...

 

« - Grand père, Grand père ! Réveille toi, tu es tout froid. Rentre dans la maison, s'il te plait. Maman t'a déjà dit qu'il ne faut pas rester sur le balcon. Il n'y a rien à voir, ici. Que la vue sur les autoroutes, 25 étages plus bas et leurs chenilles interminables de voitures. Grand père, tu es en plein courant d'air. L'air que tu respires ici est chargé des fumées des usines de la zone industrielle. Grand père, tu es couvert de suies. C'est pour ça que maman ne veut pas que tu restes dehors sur le balcon.

 

- Grand père, Grand père ! Réponds moi, tu es tout froid. Tu as renversé sur toi ton verre d'eau. Je suis sûre que tu t'es servi de l'eau du robinet. Tu sais bien que maman ne veut pas qu'on la boive. Ils le disent à la télé : il faut boire de l'eau en bouteille. Celle du robinet est chargée de mercure. Il ne faut plus la boire, elle est empoisonnée.

 

- Grand père, Grand père ! Parle moi, tu es tout froid. Raconte moi les histoires comme tu le faisais avant quand j'étais petite. Rentre et viens dans ma chambre, tu me liras les images du pays d'antan.

 

- Grand père, Grand père ! Pourquoi es-tu tout froid ? »

 

 

 

Ce matin, j'ai vu Marâdi, le serpent de mer onduler au fond du jardin. Des fois, je crois que le monde marche sur la tête.

Illustration : Jeune fougère, par fredlab, sur FlickR

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Commentaires
T
Merci pour ce processus de création, bien renseignée de plus!
G
Tout d'abord, merci pour les nombreux commentaires. Ils m'ont vraiment touché car à la réflexion, Marâdi est le texte que j'ai écrit que je préfère.<br /> <br /> Sandemo, il va de soit que si un ou une instit' voulait s'emparer de mon texte que je serai flatté et d'accord et curieux de voir le résultat obtenu.<br /> <br /> D'autres, effectivement la phrase que tu soulignes m'écorche la bouche chaque fois que j'ai eu l'occasion de lire mon texte à voix haute.<br /> <br /> Comme il est coutume sur le bloc, je voudrais aborder ici mon processus de création.<br /> <br /> En premier lieu, après une réflexion sur mes textes précédents, je me suis dit que je n'avais peut-être pas besoin de trouver un fin choquante pour écrire un texte accrocheur. <br /> <br /> En parlant du thème avec ma muse, ma moitié, il m'a semblé évident que je pourrais parlé d'une société orale où il ne serait donc pas question d'un testament écrit. ça collait grave au sujet !<br /> <br /> Ensuite, je voulais prolonger une réflexion personnelle sur le fait qu'un texte hyper localisé pouvait être universel. Réflexion sans réponse pour le moment car les commentateurs sont tous, ou presque, en lien fort avec la Kanakie-Nouvelle-Calédonie, lieu du déroulement de l'histoire,on pourrait croire.<br /> <br /> Voulant donner un fond politique à mon récit, j'ai conclu mon texte sur les dégradations environnementales de l'homme qui se croient moderne qui ajoute aussi une touche contemporaine à ce texte qui pourrait être sans âge voir né à la nuit des temps.<br /> <br /> J'ai personnifié les éléments naturels avec des noms commun en langues kanak.<br /> Tous les noms propres sont les mots communs en langue définis ensuite :<br /> <br /> - En Na Djubéa, la langue du sud de la Nouvelle Calédonie pour Mwa, Pota, Nrûnèe, Bâ, Bö et Kurece<br /> <br /> - En Xaracüu, la langue de Canala pour Marâdi et Djiria<br /> <br /> - En Adje, la langue de Houailou pour Karé<br /> <br /> - En Drehu la langue de Lifou pour Madrahe et Mekece<br /> <br /> - En une langue de Yaté (dont aujourd'hui j'ai oublié le nom) pour la liane sauvage Ngué-Xaré.<br /> <br /> J'ai utilisé autant de langues différentes pour ne pas localisé le conte et ne laisser croire qu'il appartenait à un mythe d'ici.<br /> <br /> Pour éviter d'ancrer l'histoire dans le patrimoine kanak, j'ai volontairement évité de faire des références direct aux us locales. Ainsi,la liane ne sert pas à fermer le bougna, le plat traditionnel cuit à l'étouffé sous terre dans des feuilles de bananiers et il n'est pas mention de case, ni d'espèces endémiques par exemple.<br /> <br /> Tous les éléments de l'histoire peuvent se retrouver dans les zones tropicales.<br /> <br /> Dernier point, et non des moindres, KURECE en plus d'être le second prénom de ma fille, signifie :"la suite". Et si on n'y fait pas gaffe, la suite, pourrait bien être ce monde détruit par nos pollutions nous empêchant de rester dehors et où on aurait oublier le goût de l'eau à sa source.<br /> <br /> Olé, merci !
T
J'aurai voulu varier des autres commentaires juste par esprit de contradiction mais je n'en ferai rien. <br /> <br /> OUHA !<br /> Ce texte m'a beaucoup parlé.<br /> Parfois je vois aussi Marâdi le serpent de mer au fond du jardin... <br /> <br /> Ce monde ainsi dessiné puis effacé, ce monde bien présent vu par un grand-père, par Kurece, ce monde, ce texte, m'a fait voyagé au dehors mais aussi en dedans.<br /> <br /> J'aurai sans doute aimé avoir plus de détails sur ce monde de béton vu du balcon, juste pour contrebalancer avec la première partie qui vaut son pesant d'or, encore plus après explication. <br /> <br /> ps: tu varie un peu de ton style "habituel", bravo, continue ça vaut le détour!<br /> ps: fais quand même attention à tes chevilles je voudrai devoir suivre ton testament ;-)
S
Merci pour ce voyage naturel en pay-sage calédonien, merci d'avoir exprimé ce lien qui nous unit à notre terre, à nos vieux, à nos origines. Je brûle d'impatience à l'idée qu'il soit un jour publier, illustrer et si l'autorisation était accordée, certains enseignants se feraient un honneur de le faire illustrer par leurs élèves.
L
Kurece a bien de la chance d'avoir auprès d'elle quelqu'un qui sait lui montrer la vie... et nous aussi. Merci
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