Génération de l'anomie 3/6, par d'autres
Anomie : état de désorganisation, de déstructuration d’un groupe, d’une société, dû à la disparition partielle ou totale des normes et des valeurs communes à ses membres.
3.Activisme passif
L’EXECUTION TESTAMENTAIRE
Stanislas
milite depuis ses dix-huit ans et les manifestations de 2004 contre
De Villepin et son nouveau contrat révolutionnaire. Cinq ans
qu’il s’active, de toutes les luttes, depuis les OGM jusqu’au
G8 en passant par l’Irak et l’Afghanistan ou les Enfants de Don
Quichotte. Photographe de passion, un jour de profession, cela lui a
valu de partir en Guadeloupe quand l’île était
bloquée, relayant par la même occasion son analyse au
NPA.
C’est
ce qui lui a permis, quand ils ont commencé à enfermer
des syndicalistes en Nouvelle-Calédonie, de s’y faire
envoyer. D’accord il a payé son billet, le Parti n’a pas
les moyens de son capitaliste de père, mais il est
correspondant officiel quand même. Et photographe engagé.
Et puis ce sont les vacances scolaires, la fac ne reprend pas avant
octobre.
Quand
il a débarqué, Stanislas a aussitôt été
séduit par la lumière. Puis ça été
l’accueil, un gars du Syndicat chez qui il devait loger, qui est
venu le chercher avec sa smala dans deux minibus. Direction Rivière
Salée, un quartier à l’entrée de Nouméa.
Rien que le nom fleure bon les tropiques et la simplicité de
l’évidence.
Il
était à peine installé, la chambre des enfants
mise à sa disposition, qu’on le conviait à assister à
une première réunion à propos des camarades
emprisonnés. Stanislas n’a pas hésité. Il a
passé outre la fatigue du décalage horaire, a saisi son
appareil photo, et a embarqué dans un quatre-quatre rutilant
pour rejoindre le quartier général du Syndicat.
Il
y avait foule dans cette espèce de camp retranché. Des
hommes, des femmes, des enfants, autant de visages graves ou
souriants à saisir sur son appareil. Des palettes pour
barricades, des pneus pour barrière, des bâches bleues
pour toit, des demi fûts pour barbecue, des rails pour poser
les marmites sur le feu. Et des drapeaux. Ceux du Syndicat, bien sûr,
mais également ceux du front indépendantiste, symboles
de la lutte kanake contre la colonisation de l’Etat français.
A
l’intérieur du bâtiment, les cadres étaient
déjà installés, et discutaient des actions à
mener maintenant qu’ils avaient réussi à faire plier
l’Etat et obtenu le protocole d’accord avec la Compagnie. Le
prochain objectif était la libération du président
et des camarades, incarcérés pour des motifs fallacieux
dans le seul but de mater le Syndicat. A cet effet, la majorité
optait pour la reprise de la grève générale, de
manière pacifique, afin de ne pas mobiliser une nouvelle fois
l’opinion publique blanche contre le Syndicat. On verrait ensuite
ce qu’il sortirait du procès en appel.
Stanislas
était sur une autre planète. Le décalage aidant,
l’enthousiasme d’être au plus prêt de la dernière
lutte anticoloniale française, la solennité de ces
hommes et femmes qui avaient été chargé
aveuglément par les gendarmes mobiles à trois
occasions, sans pour autant abandonner le combat, tout ceci lui
semblait à la fois vrai et irréel. Il se sentait en
phase, il se sentait au cœur de la lutte, comme jamais, il se
sentait vivant.
Enfin
ils lui ont parlé.
Ils
lui ont parlé du Haut-commissaire, la main de Sarkozy pour
réprimer les partisans de Kanaky. Ils lui ont parlé de
l’Etat, prêt à charger sitôt qu’une entreprise
est bloquée, sitôt qu’une route est barrée,
sitôt que des militants se regroupent. Ils lui ont parlé
des blancs, imbus de leurs privilèges, qui n’osent sortir
des quartiers sud que quand le gouvernement fantoche de Calédonie
donne leur matinée à ses fonctionnaires pour aller
manifester contre le Syndicat. Ils lui ont parlé de la justice
aux ordres de l’Etat, condamnant à la prison ferme sur des
accusations infondées d’entrave à la circulation d’un
aéronef. Ils lui ont parlé de la presse,
majoritairement aux ordres de l’Etat ou du Patronat. Et Stanislas
les a écoutés, révolté au dernier degré.
Mais
quand il leur en a fait part, se sentant honteux d’être
français quand d’autres français étaient ainsi
traités, les regards se sont durcis. Quand il leur a annoncé,
enchanté, comme il envisageait de s’installer ici pour
contribuer activement à leur lutte pour la préservation
d’un si beau pays, les visages se sont fermés. Quand il a
souligné qu’il encouragerait tous les militants français
de sa connaissance à venir les rejoindre, les dos se sont
tournés.
Finalement,
son hôte est venu le chercher, et sans avoir rien compris du
revirement d’humeur, Stanislas s’est retrouvé de retour
dans sa chambre, tenu à distance par le silence pesant de la
famille.
<p><p><p>L’EXECUTION TESTAMENTAIRE</p></p></p>
Illustration : sur marc vallée photojournalist