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Zone d'expérimentation
16 septembre 2009

Génération de l'anomie 3/6, par d'autres

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Anomie : état de désorganisation, de déstructuration d’un groupe, d’une société, dû à la disparition partielle ou totale des normes et des valeurs communes à ses membres.


3.Activisme passif


<p>L’EXECUTION TESTAMENTAIRE</p>

Stanislas milite depuis ses dix-huit ans et les manifestations de 2004 contre De Villepin et son nouveau contrat révolutionnaire. Cinq ans qu’il s’active, de toutes les luttes, depuis les OGM jusqu’au G8 en passant par l’Irak et l’Afghanistan ou les Enfants de Don Quichotte. Photographe de passion, un jour de profession, cela lui a valu de partir en Guadeloupe quand l’île était bloquée, relayant par la même occasion son analyse au NPA.
C’est ce qui lui a permis, quand ils ont commencé à enfermer des syndicalistes en Nouvelle-Calédonie, de s’y faire envoyer. D’accord il a payé son billet, le Parti n’a pas les moyens de son capitaliste de père, mais il est correspondant officiel quand même. Et photographe engagé. Et puis ce sont les vacances scolaires, la fac ne reprend pas avant octobre.

Quand il a débarqué, Stanislas a aussitôt été séduit par la lumière. Puis ça été l’accueil, un gars du Syndicat chez qui il devait loger, qui est venu le chercher avec sa smala dans deux minibus. Direction Rivière Salée, un quartier à l’entrée de Nouméa. Rien que le nom fleure bon les tropiques et la simplicité de l’évidence.
Il était à peine installé, la chambre des enfants mise à sa disposition, qu’on le conviait à assister à une première réunion à propos des camarades emprisonnés. Stanislas n’a pas hésité. Il a passé outre la fatigue du décalage horaire, a saisi son appareil photo, et a embarqué dans un quatre-quatre rutilant pour rejoindre le quartier général du Syndicat.

Il y avait foule dans cette espèce de camp retranché. Des hommes, des femmes, des enfants, autant de visages graves ou souriants à saisir sur son appareil. Des palettes pour barricades, des pneus pour barrière, des bâches bleues pour toit, des demi fûts pour barbecue, des rails pour poser les marmites sur le feu. Et des drapeaux. Ceux du Syndicat, bien sûr, mais également ceux du front indépendantiste, symboles de la lutte kanake contre la colonisation de l’Etat français.
A l’intérieur du bâtiment, les cadres étaient déjà installés, et discutaient des actions à mener maintenant qu’ils avaient réussi à faire plier l’Etat et obtenu le protocole d’accord avec la Compagnie. Le prochain objectif était la libération du président et des camarades, incarcérés pour des motifs fallacieux dans le seul but de mater le Syndicat. A cet effet, la majorité optait pour la reprise de la grève générale, de manière pacifique, afin de ne pas mobiliser une nouvelle fois l’opinion publique blanche contre le Syndicat. On verrait ensuite ce qu’il sortirait du procès en appel.

Stanislas était sur une autre planète. Le décalage aidant, l’enthousiasme d’être au plus prêt de la dernière lutte anticoloniale française, la solennité de ces hommes et femmes qui avaient été chargé aveuglément par les gendarmes mobiles à trois occasions, sans pour autant abandonner le combat, tout ceci lui semblait à la fois vrai et irréel. Il se sentait en phase, il se sentait au cœur de la lutte, comme jamais, il se sentait vivant.
Enfin ils lui ont parlé.
Ils lui ont parlé du Haut-commissaire, la main de Sarkozy pour réprimer les partisans de Kanaky. Ils lui ont parlé de l’Etat, prêt à charger sitôt qu’une entreprise est bloquée, sitôt qu’une route est barrée, sitôt que des militants se regroupent. Ils lui ont parlé des blancs, imbus de leurs privilèges, qui n’osent sortir des quartiers sud que quand le gouvernement fantoche de Calédonie donne leur matinée à ses fonctionnaires pour aller manifester contre le Syndicat. Ils lui ont parlé de la justice aux ordres de l’Etat, condamnant à la prison ferme sur des accusations infondées d’entrave à la circulation d’un aéronef. Ils lui ont parlé de la presse, majoritairement aux ordres de l’Etat ou du Patronat. Et Stanislas les a écoutés, révolté au dernier degré.

Mais quand il leur en a fait part, se sentant honteux d’être français quand d’autres français étaient ainsi traités, les regards se sont durcis. Quand il leur a annoncé, enchanté, comme il envisageait de s’installer ici pour contribuer activement à leur lutte pour la préservation d’un si beau pays, les visages se sont fermés. Quand il a souligné qu’il encouragerait tous les militants français de sa connaissance à venir les rejoindre, les dos se sont tournés.
Finalement, son hôte est venu le chercher, et sans avoir rien compris du revirement d’humeur, Stanislas s’est retrouvé de retour dans sa chambre, tenu à distance par le silence pesant de la famille.


<p><p><p><p>L’EXECUTION TESTAMENTAIRE</p></p></p></p>

 

Illustration : sur marc vallée photojournalist

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