Génération de l'anomie 2/6, par d'autres
Anomie :
état de désorganisation, de déstructuration d’un groupe, d’une société,
dû à la disparition partielle ou totale des normes et des valeurs
communes à ses membres.
2.Riposte préventive
<p><p><p>L’EXECUTION TESTAMENTAIRE</p></p></p>
José
est né ici. Son père est né ici. Son grand-père
est né ici. Alors oui, la Calédonie c’est son pays,
qu’on le veuille ou non.
Aussi
ne décolère-t-il plus depuis qu’un groupuscule de
feignants paralyse l’économie, et plus particulièrement
l’empêche d’accéder à son lieu de travail.
Aussi ne décolère-t-il plus depuis que ces enculés
de mélas ont recommencé à faire ce qu’ils
voulaient. Aussi ne décolère-t-il plus en songeant que
c’est comme ça que son père a perdu la station, à
Canala.
Bien
sûr il était à peine né à l’époque,
il n’en a aucun souvenir. Mais son père lui a tant de fois
raconté le temps où il menait le bétail en toute
liberté, chevauchant à travers les vallées
luxuriantes de la côte est. Il lui a tant de fois raconté
le jour où ils ont commencé à avoir peur, au
point de s’enfermer chez eux, jusqu’à abandonner la piaule
pour descendre s’abriter sur Nouméa. Il lui a tant de fois
raconté comme la station a été retrouvée
cramée, les bêtes revendiquées par les clans de
la région.
José
n’en a aucun souvenir mais c’est tout comme. Et il sait que sans
ces branleurs de kanaks, il ne serait pas obligé de réparer
des scooters à Ducos avec son pauvre CAP.
Mais
pire que tout, ce qui le met dans la fureur la plus noire, c’est
que ce soit un enculé de sa mère de sale zor’ qui
pilote leur Syndicat de feignasses. Un zor’. Un sale putain
d’enculé de zor’ qui bosse pour leur filer le pays. Qu’il
ait fini à sa place, en prison, ne le calme en rien. Ca
n’empêche pas ce sale chien de donner ses directives et de
leur faire miroiter l’indépendance.
Sauf
que cette fois on ne les laissera pas faire. C’est ce que lui a dit
son père quand ils ont commencé à tirer sur les
gendarmes à Saint-Louis. On ne les laissera pas faire, ça
non.
Et
pas question de se laisser faire, surtout. José, comme son
père, a maintenant le fusil dans le pickup,
juste derrière le siège conducteur. Qu’un de ces
enculés s’avise de l’agresser et il aura affaire à
un vrai caldoche.
Et
ils ne sont pas les seuls.
Depuis
peu, José s’est mis à fréquenter assidûment
un blog
cherchant l’audimat à tout prix. Dessus on trouve les
nouvelles les plus fraîches sur l’évolution des
choses, heure par heure, même, pendant que ça pétait.
Bon, celui qui gère le blog
est une pédale qui passe son temps à répéter
qu’il faut être gentil, que la violence ne mène à
rien, toutes ces conneries de gaucho hippie peace
and love
à la con.
Mais
surtout il y a les autres. Quelques commentateurs qui osent dire les
choses. Qui ne s’en laissent pas conter face aux menées
indépendantistes du soi-disant Syndicat. Qui osent dénoncer
le zor’ sa tête et les privilèges dont il ne se vante
pas quand il parle de justice sociale. Des mecs et des filles qui
comme lui en ont marre de se faire emmerder chez eux, dans leur pays,
sans réagir.
Avec
eux il a pourri les têtes de pine du Syndicat qui venaient
foutre la merde jusque sur internet. Avec eux il a assailli les sites
de Libé ou du NPA qui propagent le discours du Syndicat sans
rien savoir de la situation. Avec eux JoSeNC s’est senti entendu,
compris, soutenu.
C’est
là aussi qu’il a choppé l’idée de milice.
Paraît qu’il y en avait déjà pendant les
Evènements, des gens qui décident de se protéger
sans attendre que les mobiles débarquent.
Quand
José en a parlé à son père, il l’a
regardé avec un drôle d’air. Puis il lui a demandé
s’il était prêt pour ce genre de chose. Comme
évidemment José se sentait prêt, il l’a invité
à une réunion, un soir, à la Vallée des
Colons. Et surtout il lui a demandé de garder sa langue parce
que déconner avec ça c’est un coup à finir
dans une cellule au Camp Est. Comme l’autre bâtard.
José
a promis. Et le soir venu, il accompagnait son père à
sa première réunion confidentielle d’autodéfense.
Illustration : Fusils de chasse, sur Cactus-Town