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Zone d'expérimentation
12 novembre 2009

Safari de service 2/2, par d'autres

The_Office_by_laemmen

III.


J’ha-llu-cine ! Mais trop, quoi !
Deux mois de stage, deux mois à être considéré comme un intrus dans leur petit monde insonorisé, deux mois à me faire chier avec un dossier épineux sans assistance « pour me faire les griffes » selon mon enfoiré de tuteur, deux mois à bosser comme un con, sans compter mes heures, deux mois à vider mon compte d’étudiant en restau d’entreprise pour ouvrier bourge. Et à la clef ? Rien. « Ici on ne rémunère pas les stagiaires ». « C’est marqué dans votre convention ».
Bien sûr. On se contente de les exploiter avant de leur tirer leur taf’.

Mon dossier. Intégral, relié, couvert, en cinq exemplaires, portant le blaze de mon tuteur. L’a même pas été foutu de le dégager de la photocopieuse avant que j’arrive. Ce bâtard aurait voulu que je le voie, il aurait pas fait autrement.
Forcément, j’ai été le voir avec un exemplaire. Y m’répond quoi ce bouffon ? « En tant que responsable de votre travail, il m’appartient de m’en inspirer pour mener à bien mes propres travaux ».
S’en inspirer ?! Mon cul, oui ! L’a pas changé un mot, c’t’enculé, l’a pas changé une virgule. Même les fautes d’orthographe y les a pas corrigées. De la récup’ brute.
Tu m’étonnes après qu’il aille pas demander que je sois payé. T’imagines son chef ? « Alors voilà, le stagiaire a fait mon travail, je pense que ça mérite salaire. - Mais bien sûr Monsieur, permettez qu’on le prélève sur le vôtre. »

Putain mais j’hallucine, quoi ! Me taxer mon taf’ comme ça, quoi ! Putain mais les enculés, quoi ! Deux mois que je supporte ces sales cons pour quedshi, deux mois ! Et au dernier moment y finissent sur un coup de pute.
Vu la réponse du gars, j’ai été voir sa collègue, la bonasse qui me voit jamais. Je lui ai demandé ce que j’pouvais faire. T’sais c’qu’elle m’a répondu ? T’sais c’qu’elle m’a répondu ?! Que c’était pas son problème. Qu’y fallait voir ça avec la direction. Mais que de toute façon j’avais qu’une chance, celle de pas me faire valider mon stage. Carrément.
On m’pique mon taf’, et si j’m’en plains on m’fait perdre une année. Ha putain l’est beau l’monde de l’entreprise !

J’leur ai raconté ça sur le tchat, là, Dark beasts are among you. Comment qu’y z’ont trop halluciné, eux aussi. Mais y m’ont tous dit pareil. Tous ceux qu’ont fait un stage en entreprise y leur est arrivé des bricoles. Et aucun n’a été payé. Quel que soit le travail fourni. Aucun. Y se sont tous fait baiser par leur boîte.
Tain, la haine, quoi ! Chus trop vénère. Après y s’étonnent qu’on prenne les armes pour tirer dans le tas. Y nous respectent pas, y nous trompent, y nous paient pas, et y voudraient qu’on ferme nos gueules de stagiaires.
Mais dans leurs rêves, quoi ! J’vais les crever, moi, ces bâtards. J’vais leur exploser leurs sales gueules de faux-culs. Y viendront pas s’plaindre après.

T’façon j’ai pu ren à perdre. Sans rémunération j’vais d’voir lâcher mon studio et arrêter les études, vu qu’j’ai tout cramé dans le costard et la bouffe. Et pas question de finir caissier à Franc-Prix.
J’me suis fait chier pour sortir d’la rue. J’me suis fait chier pour faire disparaître l’étiquette racaille sur mon front. Mais y z’en ont rien à foutre. Y voient pas l’problème. Alors j’vais leur apporter le ‘blème. J’vais leur montrer c’que c’est que la colère du désespoir, j’vais leur montrer à ces pingouins et à ces pouffes comment que c’est en bas de chez moi.
Ranafout ! Peuvent même me descendre, je manquerai à personne.

Fait chier ! Deux mois pour ça. Et j’ai même pas réussi à avoir le six de zelle Ingrid. Putain de boîte ! Putain de costumes. J’vais vous fumer, moi. ‘tendez voir un peu comme on va rire lundi. Ha ouais, z’allez vous en souv’nir d’mon dernier jour. Pas à chier, z’allez vous en souv’nir grave, même.

Fusillade au service comptable de la société Tout a un prix.


Que s’est-il passé ce lundi matin au service comptable de la société Tout a un prix ? Telle est la question que se posent les enquêteurs après la fusillade qui a fait neuf morts et quinze blessés, hier entre huit heures et neuf heures.
Selon le témoignage d’une séduisante rescapée, les premiers coups de feu ont retenti lorsque Saliman Arzaouli, au dernier jour de son stage, a fait irruption, brandissant d’une main un fusil de chasse et de l’autre un pistolet automatique. Il aurait aussitôt commencé à faire feu au jugé, en hurlant, selon le même témoin « Bouffez ça, enculés ! »
La confusion s’est accrue quand mademoiselle Ingrid Outremenon, standardiste, a elle-même sorti un revolver gros calibre de son sac à main, avant de riposter. Il semblerait que ses tirs, très approximatifs, soient responsables de plusieurs victimes.
Le chaos est devenu total au moment où monsieur Edgar Bricotin, ancien légionnaire et chef-comptable, a dégainé son ancien pistolet de service pour faire feu à son tour, sans plus de discernement. Rien pourtant n’indique qu’il ait cherché à neutraliser les deux autres tireurs, malgré des compétences avérées en tir.
Il aura finalement fallu l’intervention du GIGN, alerté sitôt les premiers coups de feu, pour mettre un terme à ce qui s’apparente fortement à un règlement de comptes prémédité.
Quels litiges opposaient ces trois personnes, quelle obscure raison les a poussé à venir s’affronter sur leur lieu de travail, pourquoi ont-ils mêlé leurs collègues à cette fusillade, autant de questions que les enquêteurs peineront sans doute à résoudre, les deux hommes ayant été abattus au cours de l’assaut, alors que mademoiselle  Outremenon est dans un coma irréversible suite à un tir de chevrotine au thorax.
Les forces de l’ordre restent par ailleurs indécises quant à la destination d’une batterie automobile, trouvée sur les lieux de la fusillade.
L’incompréhension la plus totale règne chez les quelques rescapés du massacre, leurs collègues des autres services et leur direction, alors que cette dernière a choisi de fermer l’entreprise quelques jours, le temps que soient honorés les défunts et de se remettre du traumatisme.
Les syndicats, eux, se sont empressés de se saisir de l’affaire pour dénoncer « les conséquences prévisibles d’un stress toujours plus grand infligé aux salariés dans les grandes entreprises ».
Quant à l’opposition, elle réclame à corps et à cris la tenue d’une réflexion sur l’accès aux armes à feu dans notre pays, ce que beaucoup voient comme une maladroite tentative de récupération plutôt qu’une véritable force de proposition.
Les pouvoirs publics, de leur côté, se sont contentés, par la voix du Président de la République et du Premier Ministre, de présenter leurs condoléances aux familles des victimes et de préciser leur effroi de voir le pays sombrer ainsi dans le chaos. On murmurait hier, du côté de l’Elysée, que le président allait mandater un représentant spécial en charge du stress dans les entreprises.

(1ére partie)


Illustration : The Office, par laemmen, sur DeviantArt

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Commentaires
D
Merci Gwen pour le Tarantino, sans penser explicitement à lui, c'est son type d'exagération dans le déferlement de folie que je voulais rendre, un moment où plus rien n'a de sens, plus rien n'a de logique, surtout pour un journaliste en quête de sensationnalisme.<br /> Quant aux destins qui entrent en collision, en effet, j'ai un peu trop tendance à penser en ce sens en ce moment, et je ne m'étais pas même rendu compte que j'avais cédé à ce travers ici ou dans "Vous qui passez sans me voir ...". Un tic à éradiquer, il n'est pas bon d'épuiser un filon ...<br /> Pour ce qui est de la première partie, enfin, initiatrice du propos, comme tu le soulignes discrètement, elle fait la jonction avec ma situation de travailleur remercié, avec juste la dose de fiction pour respecter les termes de mon départ voulant que je ne calomnie pas la société. Outre que ma colère n'aura duré que le temps d'écrire ce texte.<br /> <br /> De cette première partie a découlé le reste. Le besoin de trouver d'autres personnages pour ne pas focaliser sur le premier dont j'avais fait le tour.<br /> Au second je savais que le bureau allait se transformer en champ de tir. Au troisième il était évident que ce serait un massacre.<br /> D'ailleurs, si je suis assez satisfait du second personnage, féminin, le dernier me paraît quelque peu artificiel, pas réussi à rendre le petit gars de cité reconverti de manière crédible. Asi es ...<br /> La fin, enfin, un artifice pour s'épargner la fastidieuse description du massacre, qui s'est vite avéré être la conclusion nécessaire pour dédramatiser la résolution des personnages, en conférant un tour absurde voire tarantinesque à l'ensemble, de sorte que le sourire vienne plus facilement que le dégoût.<br /> En définitive, une farce un peu noire sur fond d'actualité sociale, France Télécom faisait beaucoup parler de ses suicidés stressés à l'époque.
D
Je crois que c'est Kundera qui faisait ça, d'entremêler les intrigues.
G
La fin du texte est particulièrement bien !<br /> On se croirait presque dans un film de Tarantino ! Toutes ces scènes qui finissent par s'entremêler ! Un subterfuge que l'auteur avait déjà utilisé, rappeler vous, dans « Génération de l'anomie » mais qui fonctionne ici encore.<br /> Mon personnage préféré reste le premier portrait surtout après l'explication de texte en « live » que d'autres m'a donné.
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