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Zone d'expérimentation
5 février 2010

Plus ça change ... par d'autres

_le_des_pins_020

Ils ont la tête farcie des merveilles découvertes
Et le cœur à vous vendre chacun de leurs périples.
Alors ils vous invitent, un prétexte fallacieux,
Vous mettent en confiance, repas, spiritueux,
Avant que d’introduire, sans la moindre finesse,
Le point d’orgue du soir, la commémoration.

Leurs parents, les coupables, leur ont donné le goût
Des soirées en images, séance diapositives,
Ils se sont adaptés, nouvelles technologies,
Et le tout numérique remplace le projecteur.
Avant d’avoir dit « ouf », les réflexes amoindris
Par une digestion soigneusement importune,
Vous voici installés dans un salon en cuir,
Prisonniers des écrans, télé, ordinateur.
Les câbles les dispensent du développement,
Les puces démultiplient le nombre des clichés.

Vous pensiez rentrer tôt, demain c’est la reprise,
La moindre tentative entraîne la surenchère.
Ça commence par l’avion, le bateau, la voiture,
Tout immortaliser, quelque soit le banal,
Autoportraits pas nets, paysages tremblotants,
Puis vous avez l’hôtel, sous ses moindres coutures,
Les matelas pouilleux et les chiottes à la turc,
La baignoire de standing, le mini-bar garni,
Sans oublier la vue, sur quoi, on peine à dire,
Mais s’il y a fenêtre ou, pire, une terrasse,
Vous n’y couperez pas, le cadre est essentiel.

Vous pourriez somnoler, digérer les excès,
Mais ils veillent au grain, et assurent, enjoués,
Des commentaires audio en mode interactif.
Viennent les cartes postales, prises en vingt exemplaires,
Le zoom a de beaux jours dans la diversité,
Au moins sont-ils certains qu’une vue sera bonne,
Ni plus intéressante que tant d’autres avant elles,
Ni plus originale, encore moins réussie,
Mais le ciel est bien bleu, la nature est bien verte,
Ils ont les larmes aux yeux, les souvenirs émeuvent.

A mesure que s’étale l’ennui de leurs voyages,
Les prises de vues s’embrouillent, les paysages se fondent,
De l’exaspération point dans le commentaire.
Monsieur affirme l’inverse et Madame son contraire,
A moins que oui mais non, il y avait tant à voir,
Ils auraient du noter, puis marquer les photos
Quand c’était encore frais, la mémoire c’est fragile.

Les plans d’eau se succèdent, un grand concours de bleu,
Les sables se répandent, rivalités de blanc,
De la végétation, autre touche de couleur,
Toujours cette impression d’un seul et unique site.
Ils en ont eu conscience, amateurs éclairés,
Quand ils se sont risqués à capturer des murs,
Des maisons anonymes, des monuments classiques,
Avec cet art subtil de tout rendre quelconque.

Parfois, heureux hasard, une photo transcende
L’impression générale, mise en scène, lignes de fuite,
C’en serait presque bon, c’est tellement moins pire,
Mais ils passent bien vite, ce n’était qu’un loupé.
Vous ne supportez plus, rêvez les étouffer
Avec leur appareil garanti dernier cri,
On n’est qu’à la moitié, le supplice est dosé.

Côté cour ça menace, un orage salvateur,
L’agacement public imprime leurs récepteurs,
Ils ne comprennent pas, s’en attribuent l’un l’autre
La culpabilité, ils sont trop embrouillés,
Monsieur est trop précis, ça assomme les convives,
Madame est trop bavarde, ça allonge la séance,
Ils manquent de thématique, l’exposé en pâti.

De là tout s’accélère. Déçus par l’insuccès
Ils enchaînent les photos en cliquant nerveusement,
Dans l’espoir pathétique de trouver quelque chose
Qui sorte un peu du lot, rattraper la soirée,
Clôre sur une touche heureuse plutôt que d’abréger.
Bleu, blanc, vert se répètent, une touche de gris,
Un kaléidoscope à peine plus insipide
Rythmé par la trotteuse et les clics de souris.

Enfin on est au bout, un grand soulagement,.
Tout le monde se relève, des sourires hypocrites
Font passer la pilule, ç’avait l’air plutôt chouette
Leur week-end à la mer, on en reparlera,
Plutôt un autre soir, là il est un peu tard.
Les bises traditionnelles, quelques remarques polies,
Tout le monde évacue, vous êtes libérés.
Reste cette assommante sensation de vide,
L’impression déplaisante d’un voyage en désert,
Aucun de leurs clichés ne présentait d’humain.

Une fois rentrés chez vous, vous n’avez qu’une idée,
Remiser l’appareil, effacer les fichiers,
Résoudre le complexe de touriste aveuglé,
Incapable de mieux qu’un mitraillage sauvage
Dont tout le monde se fout. Vous aussi finalement.


Illustration : Ile des Pins, par d'autres

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Commentaires
G
Bon, déjà d’une, je ne te montrerai plus jamais mes photos ! Que ça soit dit ! Et moi qui croyais te faire plaisirs à te montrer mes 476 clichés de ma journée au bureau le jour où on avait reçu nos nouveaux fauteuils.<br /> <br /> Et celles du petit chiot ! Elles étaient pourtant si mignonnes !<br /> <br /> T’aurait pu me le dire à moi, sans passer par le net et qu’une multitude d’inconnus commente mes séances diaporamas !<br /> <br /> (J’écris des conneries pour essayer de faire oublier que je n’ai pas lu de textes de la Zone d’Ex depuis au moins 2 mois)<br /> <br /> J’aime beaucoup ce texte ! Cette forme qui s’apparente à de la poésie et pas seulement parce que les phrases sont centrées mais aussi parce que ça rime !<br /> <br /> (Là, j’écris des conneries pour faire oublier que mes derniers commentaires étaient vraiment mauvais)<br /> <br /> Cet humour qui déborde de l’ennuie… J’aime beaucoup ! ça sent le vécu ! <br /> <br /> Tu dis que tu as écrit ça pour combler la zex ? En plus de meubler tu nous tiens en haleine !<br /> <br /> Ah ! Au fait, pour mon appareil photo j’ai acheté une carte mémoire de 8 Giga !<br /> <br /> Le truc, c’est que moi, j’aime tellement les images que ça me dérange pas trop en fait, les soirées diapos. Je consomme, cherchant le cadrage ou l’éclairage ! Bon, en même temps la dernière séance diapos que j’ai vécu, c’était celle de Julien Barrault et même si j’en ai vu presque 800, très nombreuses étaient celles qui déchiraient la rétine !<br /> <br /> Et pour répondre au dernier commentaire d’Erick ! Je dirais même plus et j’en suis la preuve vivante, ça m’arrive si souvent !
D
Pauvre Desproges, dépossédé sans moyen de défense ...
E
Tout dépend des contraintes sociales que l'on s'impose. On peut rire de tout en emmerdant ceux que ça ne fait pas rire.
D
L'humour ? Assurément une bonne façon de dire des choses indicibles. Reste à ne pas oublier la maxime selon laquelle on peut rire de tout mais pas avec tout le monde ...
D
C'est vrai que j'écris comme je parle.<br /> Remplace "même" par "aussi"...<br /> Le sujet est bateau comme tu le dis, mais pour ma part en tout cas, je l'ai tellement mal vécu que le lire avec de l'humour, me plait assez...Peut-être la meilleure arme contre l'impossibilité de dire...
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